Nous voici déjà fin novembre et je n’ai pas vu passer le temps. Alors pour maintenir mes bonnes résolutions d’un article par mois je vais vous parler d’un livre que j’ai lu il y a déjà un bout de temps mais qui, à mon avis, n’est pas près d’être démodé, un livre que certains qualifient même « d’utilité publique ».
Sorti en 2019, TECHNOPOUVOIR : Dépolitiser pour mieux régner, est un essai de philosophie politique écrit par Diana Filippova, activiste politique, auteur et fondatrice de l’agence de stratégie Stroïka (comprendre agence de propagande… ça ne s’invente pas).
Thèmes développés
“Les technologies ne nous font plus rêver. Pan par pan, la mythologie du progrès s’effondre sous nos yeux. Le monde numérique se révèle chaque jour plus matériel, injuste et polluant. Internet lui-même ressemble à une vaste benne où nous venons déposer nos espoirs déçus. Les injonctions à reprendre le pouvoir tombent à l’eau : c’est que nous avons perdu la main. Et si les politiques des technologies n’avaient pas pour but de nous émanciper, mais au contraire de nous empêcher d’exercer notre pouvoir d’agir ? Et si les libertés dont elles font mine de nous gratifier n’étaient qu’un trompe-l’oeil pour mieux nier ce qui fait de nous des animaux politiques, nier notre capacité à critiquer, à contester, à nous rebeller ?”
Extrait 4ème de couverture du livre Technopouvoir
Cet essai dresse un portrait historique et actuel des outils de gouvernance utilisés pour maintenir la population sous contrôle, outils qui ont mutés et se sont adaptés au fil du temps pour embrasser rapidement les plus modernes issus de la technologie, ce que l’auteur regroupe aujourd’hui sous l’appellation de “technopouvoir”, c’est à dire : la manière avec laquelle les techniques sont utilisées comme des moyens de gouvernement, non pas pour favoriser le progrès, mais bien pour organiser une société donnée.
« un répertoire d’actions, de stratégies, de tactiques qui se fondent sur les techniques et leur organisation afin de nourrir ceux qui exercent le pouvoir, souhaitent le conserver ou entreprennent de le conquérir ».
Citation extraite du livre Technopouvoir

Il faut ici comprendre que ces outils ne sont plus aujourd’hui au service de la politique mais qu’à l’inverse, la politique est elle-même devenue un simple outil de gestion au service du changement permanent induit par nos sociétés néolibérales, comme si la technologie avait assujetti à sa propre efficacité tant le politique que le pouvoir économique. La créature a échappé à son maître…
La politique est dès lors réduite à l’organisation des conditions et de la gestion de ce changement, elle n’est plus le royaume des fins, mais celui des moyens destinés à atteindre des buts qui s’imposent à elle de l’extérieur. Le politique est rétrogradée au rang de technique que seule la technique peut activer.
Les Etats comme les GAFAM, disposent aujourd’hui du même arsenal technique, dès lors les technologies de pouvoir sont également autoritaires, quels que soient les pays ou les entreprises qui les proposent, et reposent toutes sur le contrôle qu’elles induisent et l’efficacité qu’elles produisent.
La gouvernance ne repose ainsi plus sur la subordination des individus, mais sur leur programmation pour mieux les mouler dans et au système. Le technopouvoir s’impose par l’obéissance, fragmentée et individualisée.
C’est une guerre, une guerre qui ne se déroule plus dans le réel mais dans des espaces virtuels où les individualités s’affrontent sans fin et sans utilité avec toujours en toile de fond l’impression d’être du “bon côté” et de servir une “cause juste”, sans s’apercevoir qu’ils ne font que perpétuer les jeux du cirque de nos lointains ancêtres au sein d’une matrice qui les a déjà broyé et recraché sous la forme d’“Homme sans qualités”.
Les tactiques de guerre déployées contre certaines populations jugées indignes ou inaptes à un gouvernement plus doux et sophistiqué habituent les individus à une violence ordinaire. Nous devenons tous les agents d’une traque contre l’autre. En ce sens, les affrontements à la vie à la mort, sur Twitter ou Facebook – ces bulles de filtres dont la confrontation est forcément belliqueuse et sans issue – ne sont que la transposition outrée d’un certain état de nos sociétés que lesdits réseaux contribuent à renforcer, parce qu’ils sont utilisés comme un modèle d’organisation pour le gouvernement des hommes.
Extrait Technopouvoir
Point de véritable salut ici, le livre de Diana Filippova est un constat désabusé sur la puissance de la technologie.
Le Technopouvoir en s’infiltrant dans toutes les modalités de gouvernement est en train de réussir la dépolitisation du monde au profit de la seule perspective d’un progrès technique sans fin ni but, autre que lui-même, sans espace d’autonomie individuelle ou collective et sans contestation.
Passionnant, glaçant et éclairant, TECHNOPOUVOIR peut se révéler de prime abord aride et peu accessible, mais il mérite largement l’effort nécessaire à sa lecture et sa compréhension. Un must have pour commencer à comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain et un véritable cadeau empoisonné… idéal pour les fêtes 😉