Avec les préoccupations écologiques actuelles, un nombre significatif de personnes militent de plus en plus pour une reconnaissance de la personnalité juridique de la nature afin de pouvoir mieux la protéger. Qu’est-ce que cela signifie véritablement ? qu’est-ce que cela changerait et est-ce vraiment utile ? telles sont les questions que se posent aujourd’hui juristes, militants et chercheurs.
C’est quoi la nature ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire il n’existe pas aujourd’hui de définition simple et précise de la nature qui fasse consensus. Le concept de « nature » est avant tout une création occidentale née du besoin de qualifier ce qui n’était pas du fait de l’Homme, une construction de l’esprit qui permet de donner une saillance à tout ce à quoi le concept est opposé. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) introduit la nature comme un « Ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l’activité et de l’histoire humaine », pour le Larousse c’est aussi « des principes, des forces, en particulier de la vie, par opposition à l’action de l’homme » ou « Ensemble de ce qui, dans le monde physique, n’apparaît pas comme (trop) transformé par l’homme (en particulier par opposition à la ville)« .
Toutefois, la notion de nature telle que l’on se l’imagine de prime abord correspondrait plutôt à la notion spirituelle de « mère nature » ou de terre vierge, matérialisée par un « Milieu terrestre particulier, défini par le relief, le sol, le climat, l’eau, la végétation » (CNRTL). Si l’on se pose la question « qu’est-ce que la nature? » la majorité d’entre nous va penser à une forêt, un animal, la campagne, une rivière… à tous ces éléments non-humains qui existent finalement en dehors de notre univers artificiel, construit, façonné, dans un sens où il doit s’agir d’élément sur lesquels nous n’avons pas de contrôle direct dans le sens où nous ne les avons pas créés, ce qui renvoi à un concept finalement plus spirituel que rationnel.
Pour d’autres, dont Philippe Descola, anthropologue français, la conceptualisation de la nature a permis à l’homme de la considérer à la fois comme une simple ressource et comme un mystère qui le dépassait. Créer cette distance lui donnait l’autorisation de la dominer. La nature n’a finalement aucune existence tangible et n’existe que par antagonisme.
la nature, cela n’existe pas. La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique. La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois.
Philippe Descola
Avant de pouvoir donner une personnalité juridique à la nature il faudrait donc pouvoir déjà la qualifier, la définir juridiquement en tant qu’entité. On ne parle pas ici d’un élément isolé comme un arbre ou une montagne, mais d’un ensemble complexe de systèmes et d’organismes vivants.
En 2010 la Bolivie en adoptant une loi cadre des droits de la Terre Mère, lui reconnaissant ainsi une personnalité juridique, en a donné une définition juridique :
Article 3. (Mother Earth). Mother Earth is a dynamic living system comprising an indivisible community of all living systems and living organisms, interrelated, interdependent and complementary, which share a common destiny.
LAW OF THE RIGHTS OF MOTHER EARTH
Mother Earth is considered sacred, from the worldviews of nations and peasant indigenous peoples.
Article 4. (LIVING SYSTEMS). Living systems are complex and dynamic communities of plants, animals, microorganisms and other beings and their environment, where human communities and the rest of nature interact as a functional unit under the influence of climatic, physiographic, and geological factors, as well as production practices, Bolivian cultural diversity, and the worldviews of nations, original indigenous peoples, and intercultural and Afro-Bolivian communities.
Que l’on pourrait traduire en français par :
Article 3 (La Terre Mère) :
La Terre Mère est un système vivant dynamique qui comprend un ensemble indivisible englobant tous les systèmes et organismes vivants. Tous sont liés les uns aux autres, dépendants les uns des autres et complémentaires. Ils partagent tous une même destinée.
La Terre Mère est considérée comme sacrée par les nations et par les peuples indigènes cultivateurs.
Article 4 (Les systèmes vivants) :
Les systèmes vivants sont des ensembles dynamiques et complexes constitués par les plantes, les animaux, les micro-organismes et les autres êtres ainsi que leur environnement. Les êtres humains et le reste de la nature interagissent avec eux en tant qu’unité fonctionnelle et sous diverses influences : les facteurs climatiques, physiographiques et géologiques, les méthodes de production, la diversité culturelle bolivienne, et le point de vue des nations, des peuples indigènes originaux et des communautés afro-boliviennes.
Cette définition est-elle valable ? est-elle suffisamment précise et en même temps suffisamment large ? Définir la nature afin de pouvoir lui donner une personnalité juridique sera déjà, je pense, un challenge en soi.
C’est quoi une personnalité juridique ?
Une fois la nature qualifiée et définie juridiquement, se pose la question de son existence au yeux du droit.
Aujourd’hui en droit français, la nature est un objet du droit par opposition à un sujet de droit.
- Un objet de droit est une chose ou une personne sur laquelle peut s’exercer un droit.
- Un sujet de droit est une personne juridique (physique ou morale) avec des droits et des obligations.
Ainsi, seul un sujet de droit dispose de la personnalité juridique qui lui confère des droits qui lui sont propres (droit d’être, de penser, de faire, d’agir en son nom propre…) et des obligations.
Dans cette catégorie de sujets de droit, seuls entraient autrefois les hommes. Les femmes par exemple les ont rejoints bien plus tard (XXe siècle). En dehors des humains (personnes physiques), les personnes morales, (les sociétés, associations, entreprises commerciales…) bénéficient de ce statut.
Qu’est-ce que ça change la personnalité juridique ?
Pour résumer, en droit français, la personnalité juridique est la capacité pour une personne physique ou une personne morale à être sujet de droit. En tant que sujet actif de droit, elle se voit reconnaître des droits avec la capacité d’en jouir (capacité de jouissance) et celle de les exercer (Exemples : conclure des contrats, ester en justice). En tant que sujet passif de droit, elle est toutefois assujettie à des obligations.
Les personnes physiques acquièrent la personnalité juridique par leur naissance, avec l’établissement d’un acte de naissance par un officier d’état civil. Elles perdent la personnalité juridique lors de leur décès, médicalement constaté et déclaré en mairie ou après un jugement en cas de disparition ou après une absence de plus de dix ans. Les personnes morales acquièrent la personnalité juridique après enregistrement auprès de l’administration compétente (pour une société par leur immatriculation au Registre du commerce et des sociétés, pour une association par leur déclaration en Préfecture… ). Elles la perdent lors de leur dissolution.
Ainsi, en tant qu’objet, la nature est aujourd’hui susceptible d’être appropriée, et son propriétaire, en fonction de la législation de son pays en matière de droit de propriété, peut faire ce qu’il souhaite. En accordant à la nature le statut de sujet de droit, cela entrainerait la reconnaissance de droits qui lui sont propres et avec, la possibilité d’intervenir dans un procès pour défendre ses droits. Majoritairement, lors d’atteinte à la nature, s’il n’y a pas de répercussions sur la propriété d’un sujet de droit, les actions légales sont impossibles sinon très compliquées.
Est-il juridiquement possible en droit français de donner la personnalité juridique à la nature ?
La réponse est sans équivoque : « Oui ».
Attribuer la personnalité juridique à la nature est parfaitement réalisable sur le plan technique. La nature, à l’image d’une entreprise ou d’une association, peut être représentée par des tuteurs humains et devient ainsi apte à être titulaire de droits et à agir en justice pour défendre ses intérêts.. Il conviendrait « simplement » de lui donner une définition juridique claire et de créer (ou définir) la ou les entités ayant capacité et droits à la représenter.
Si de plus en plus de pays ouvrent la voie vers une reconnaissance de la Nature en tant que sujet avec des droits, à l’exception des textes votés en Equateur (Constitution) et en Bolivie (Loi sur les Droits de la Terre Mère) les autres relèvent plus d’une profession de foi que de véritable loi à valeur contraignante (Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité ou la Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère par exemple).
Notons toutefois que plusieurs pays tendent aujourd’hui à reconnaître non pas un droit de la nature, mais une personnalité juridique distincte à certains éléments naturels, comme des fleuves (le Gange en Inde, le Whanganoui en Nouvelle-Zélande…), des montagnes ou des rivières. Ces changements jurisprudentiels étant survenus bien souvent suite aux protestations et revendications des populations indigènes, comme avec les Maoris en Nouvelle-Zélande. On voit ici que la question de la définition du sujet (= le fleuve par exemple) est beaucoup plus simple.
La reconnaissance de la personnalité juridique à la nature est-elle justifiée ?
L’idée que les éléments constitutif de la nature puissent devenir des sujets de droit en lieu et place de n’être que des objets de droit, date d’un célèbre article de Christopher Stone qui, en 1972 pour critiquer un projet de la Walt Disney Compagny qui menaçait de détruire une forêt de séquoias en Californie, posa la question : « Should trees have standing ? » que l’on pourrait traduire par « les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? ». Il contribua ainsi à la prise de conscience de la valeur intrinsèque de la nature, l’originalité de sa position tenant alors à son caractère juridique, qui conférait aux entités naturelles le droit de se défendre en justice.
En 1981 c’est le français Francis Caballero qui publiait sa thèse sur la notion juridique de nuisance, qu’il terminait par une réflexion sur l’indifférence au dommage écologique. Le dommage causé aux éléments non appropriés – air, eaux, faune et flore – n’entrait pas dans la définition des préjudices réparables, dont le droit exige qu’ils soient personnels et directs. Ici, point de personnes, donc point de préjudices : bêtes et plantes mouraient en dehors du principe de responsabilité.
A l’origine de ce mouvement existait donc un constat simple : le droit de l’environnement ne suffisait pas à limiter l’ampleur de la crise écologique. Quand bien même celui-ci a significativement progressé, principalement dans les États européens, d’importantes marges de progression restent à explorer compte tenu de l’ampleur des défis à relever. Autrement dit, la question n’est pas tant celle de savoir si le droit de l’environnement doit être renforcé mais plutôt comment.
Comme nous l’avons vu plus haut, en l’absence d’atteinte ou de répercussions sur la propriété d’un sujet de droit, les actions légales possibles sont limitées voir impossibles. Accorder la personnalité juridique à la nature faciliterait donc la reconnaissance juridique d’une possible atteinte à ses droits, quel qu’en soit la cause, et ainsi la possibilité d’aller en justice pour faire condamner les éventuels responsables.
Les détracteurs d’une telle reconnaissance de la personnalité juridique de la nature arguent quant à eux que la nature est aujourd’hui, d’une part, déjà facilement représentée par les diverses associations de protection de l’environnement ou les organismes spécifiques dont l’accès à la justice est juridiquement garanti, et, d’autre part, qu’en France notamment, depuis l’affaire « Erika » et la décision de la Cour de Cassation du 25 septembre 2012, le préjudice écologique s’est élevé au rang de création prétorienne. La Cour de cassation l’ayant définit comme «l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ».
Ce faisant, la Cour de cassation a répondu à l’appel de la doctrine majoritaire qui réclamait la reconnaissance d’un tel préjudice, estimant que les dispositifs en place étaient insuffisants pour prévenir et réparer les dommages faits à l’environnement. L’indifférence au dommages écologiques n’est donc plus de mise.
Le préjudice écologique est aujourd’hui consacré et défini aux articles 1246 à 1252 du code civil. Ainsi, ce dernier constitue un préjudice dont le fondement est distinct de l’article 1240 du code civil. Point n’est donc besoin de personnifier l’environnement comme « autrui » (comme un sujet de droit donc) pour justifier la réparation des atteintes subies.
Quid de la réparation du préjudice ?
Nous pouvons évidemment souligner les énormes progrès en matière judiciaire et d’indemnisation qui ont été fait en France. Notre droit a largement évolué depuis les années 1980 et ce, dans la bonne direction. La personnalité juridique de la nature ou de l’élément naturel qui a subit le dommage n’est aujourd’hui plus nécessaire pour aller en justice et obtenir réparation, tout du moins en France.
Reste toutefois la question du dédommagement (ou dommages et intérêts) qui est encore un peu flottante en terme d’évaluation mais consacrée juridiquement par les articles cités plus haut. En effet, le législateur tranche en faveur de la réparation en nature (art. 1249 c.civ.), le versement de dommages et intérêts étant désigné comme la solution subsidiaire lorsque la réparation en nature est impossible.
A noter également un arrêt du 22 mars 2016 de la Cour de Cassation qui a énoncé que « la remise en état prévue par l’article L. 162-9 du code de l’environnement n’exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l’article L. 142-2 du même code » et consacré dans le même arrêt le principe de l’expertise des dommages écologiques : « les juridictions doivent réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe et d’en rechercher l’étendue« .
Nous pourrions donc distinguer deux préjudices : le préjudice écologique pur et le préjudice écologique dérivé. Les préjudices écologiques purs concerneraient les éléments naturels en tant que tels, tandis que les préjudices écologiques dérivés affecteraient les biens et les personnes. La réparation en nature ( = remise en état de l’environnement) du préjudice écologique pur sera favorisé, les dommages et intérêts n’étant alors que subsidiaires et pour le cas où la remise en état n’est plus possible. Le préjudice écologique dérivé va consister quant à lui en une indemnisation (victimes humaines, dégâts matériels, dommages et intérêts aux associations de sauvegarde…).
Alors accorder la personnalité juridique à la nature en l’état changerait-il quelque chose ?
Accorder la personnalité juridique à la nature changerait forcément la donne.
Le plus gros problème actuellement étant que les défenseurs de la nature ne peuvent en général agir qu’à postériori, c’est à dire une fois que le dommage a eu lieu, la personnalité juridique de la nature déplacerait le combat en amont, c’est à dire avant que le dommage n’ai pu se produire.
Pour reprendre l’exemple du fleuve Whanganoui en Nouvelle-Zélande, aucune action ne peut se faire sur ou dans la sphère d’influence du fleuve sans l’accord des associations indigènes qui le représentent. Le fait est toutefois que nous manquons encore de recul pour voir les effets de ces nouvelles avancées. La reconnaissance de la personnalité juridique du fleuve n’a par exemple pas effacé les années d’exploitation ou de pollution, et l’impact des barrages qui n’ont pas disparus.
Certains arguent également que l’effectivité du droit de l’environnement dépend d’un nombre important de facteurs juridiques qui sont hors de portée d’un simple changement de statut juridique des entités naturelles : cohérences entre les normes nationales ou internationales, impact dissuasif, corruption, efficacité des procédures, insuffisance des moyens humains et financiers, impartialité, interprétation des textes et normes de références…. Ce à quoi il est assez facile de répondre que c’est de toute façon déjà le cas et que la personnalité juridique, loin d’être une solution miracle qui règlera tous les problèmes environnementaux, devrait plutôt être perçue comme facilitatrice des démarches de protection en amont et en aval des projets qui pourrait l’impacter, mais également comme un message fort aux intérêts politiques et économiques qui se moquent ou contournent par tous les moyens possibles les lois actuelles, comme un changement d’état d’esprit dans notre rapport à notre environnement.
Se pose aussi la question de la représentation. Se verrait-on submerger de centaines d’associations différentes qui pourraient revendiquer agir au nom de la nature, entrainant alors des problèmes inévitables de communication, d’organisation, d’intérêt, de divergence et d’engorgement de nos juridictions, ou, à l’inverse, n’y aurait-il désignation que de quelques élus triés sur le volet avec le risque de les voir soumis plus facilement au lobbying, à la corruption ou à la lourdeur organisationnelle des grosses structures. Qui serait légitime à représenter la nature ?
Enfin, au delà des questions juridiques, se pose également une question d’ordre sociétale, voir philosophique :
Ériger la nature au rang de norme menace-t-il la souveraineté du peuple au plan démocratique ou plus largement la souveraineté de l’homme ?
En fonction de la définition juridique donnée à l’entité « nature » en tant que personnalité juridique, quel impact cela aurait-il sur notre vie d’humain ?
Si l’on prend l’exemple de la faune, les animaux domestiques seraient-ils inclus ? Les animaux domestiques sont-ils encore « naturels » après des siècles de trafic génétique pour les rendre plus rentables alors qu’il est fort probable qu’ils ne survivraient pas à l’état sauvage tant nous les avons rendus dépendants. L’élevage serait-il remis en cause par exemple ? au-delà de la réaction première de se dire que ça n’arrivera jamais, en terme juridique est-ce une possibilité ?
L’exemple est volontairement poussé, mais l’idée ici est de s’interroger sur ce que nous serions prêt à laisser à la « nature ». Quelle part de notre liberté, de notre confort sommes nous prêts à sacrifier ? Car reconnaître la personnalité juridique à une entité aussi complexe et étendue reviendrait possiblement à ériger la nature en instance normative où l’homme devrait se conformer au cadre plus général de celle-ci, comme l’analyse le philosophe Dominique Bourg à propos de la « deep ecology ».
Pour Alexandre Viala, professeur en droit public, le danger est le transfert du pouvoir à une minorité chargée de parler au nom de la nature :
« muette et aveugle, dépourvue d’intentionnalité (…), la nature a bon dos pour justifier tout et son contraire. De sorte qu’en revendiquant son autorité, le juriste se comporte comme un ventriloque. Il impute à la nature les valeurs et les normes qu’il souhaiterait voir s’imposer dans la société » (..) « derrière cet ordre juste réputé objectif et donné par la nature, se cache toujours un ordre arbitraire créé par des hommes dont l’intérêt est de couvrir une subjectivité qu’ils n’assument pas en se servant du masque de la nature qui se révèle, dès lors, d’une commode plasticité »
Alexandre Viala
Ce qui est par ailleurs revendiqué par les défenseurs de la personnalité juridique de la nature, et notamment par Valérie Cabanes qui dans son livre « Un nouveau droit pour la terre. Pour en finir avec l’écocide », écrit que « la première étape normative vers un Droit de la Terre devrait donc être de reconnaître les limites planétaires comme des normes auxquelles l’humanité devrait se conformer. Des normes que le corps politique ne puisse pas négocier, qui ne puissent pas faire l’objet d’une adhésion laissée à la discrétion des États et qui ne seraient pas assujetties à une justice aux prises avec le principe de souveraineté nationale. Ces normes sont à définir et à redéfinir dans le temps par la science, selon ses avancées, mais elles doivent pouvoir s’imposer à tous au nom de la préservation de la sûreté de la planète »
Pour Julien Bétaille, Docteur et Maître de conférence en droit public qui a rédigé des articles à charge de cette idée de personnalité juridique, s’inquiète de cette « tyrannie bienveillante » qui représenterait un danger pour la démocratie.
le problème apparaît lorsque certains revendiquent l’inscription de ces limites en droit, qui plus est au niveau constitutionnel. On passe alors d’un concept descriptif à une norme prescriptive. Les décisions du corps politique ne sont alors plus simplement informées par ce concept mais contraintes par cette norme. Les lois naturelles domineraient alors les lois humaines. On opérerait alors un transfert du pouvoir du peuple vers les scientifiques, seuls chargés de définir l’étendue des limites planétaires.
Julien Bétaille
Si tant est que ce pouvoir revienne effectivement aux scientifiques puisque cela dépendra notamment de qui sera nommé « tuteur » de la nature.
Répondre à cette simple question « la nature doit-elle avoir des droits ? » n’est finalement pas si simple. Evidemment de prime abord nous aurons tous ou presque envie de répondre oui, surtout en ce moment, où le dérèglement climatique commence à devenir nettement plus tangible. Pourtant, sommes nous prêts pour un tel changement de paradigme ? Dans nos sociétés de droits, la personnalité juridique est fondamentale pour se faire entendre, comme outil de pouvoir, comme responsabilité aussi, car avec les droits viennent également les obligations et il n’est pas certain que nos droits restent compatibles avec ceux de la nature qui nous sert de centre commercial depuis si longtemps et le niveau de nos obligations et contraintes augmenterait considérablement.
Pourtant il n’est pas non plus possible de ne pas faire évoluer le droit de protection de l’environnement puisque nous vivons et bénéficions tous du système terre qui est au bord de l’implosion. Donner les clefs à la nature et à ses représentants serait-il la solution ? ou bien reconnaître la personnalité juridique de quelques éléments particuliers serait-il suffisant et utiles, comme nos fleuves, nos montagnes, nos océans et nos forêts ? ou devons-nous plutôt continuer à lutter pour que le droit évolue encore et permettent une meilleure prise en compte des besoins de la nature en amont plutôt qu’après les catastrophes ? Quelle part de liberté sommes nous finalement prêts à sacrifier pour sa survie ?