Fan de la chaîne youtube de Boneless et de son talent pour rendre intéressante et vulgariser la thanato-archéologie, c’est avec plaisir – et retard – que j’ai enfin acheté le livre qu’elle avait co-écrit avec Thomas Cirotteau et Eric PINCAS aux éditions Les Arènes.
Quésako ?
Cet essai de vulgarisation archéologique se positionne quasi-exclusivement d’un point de vue féminin et tente d’apporter de nouvelles perspectives sur le rôle social de la femme préhistorique et sa participation souvent oubliée dans l’évolution de notre espèce, plus particulièrement au paléolithique supérieur se situant entre – 40000 et – 10000 ans avant notre ère.
Lady Sapiens se lit sans effort, enchainant découvertes scientifiques, faits, hypothèses et extrapolations sans perdre le lecteur peu habitué à ce sujet de prime abord rébarbatif. Pour les plus curieux un documentaire éponyme a également été créé en parallèle, le livre en étant la continuité et l’approfondissement.
Au travers de thèmes variés comme le genre, la mode, la sexualité, la famille, le travail, la communauté ou le pouvoir, l’image de nos ancêtres se redessine page après page sous un nouveau regard qui ne se veut ni inquisiteur ni idéalisant. La « femme préhistorique » n’était sans doute finalement pas cloitrée et tremblante dans une grotte en attendant son mâle chasseur toute la journée. #mindblowing

Fantasme féministe ou hypothèse solide
Comme souvent dans ce genre littéraire, la communauté scientifique, ou du moins, une partie d’entre elle, est montée au créneau pour démolir sur l’autel d’une soi-disant véracité historique et scientifique les hypothèses qui ne respecteraient pas le statu quo de notre époque.
Lady Sapiens n’a pas fait exception et s’est fait proprement démolir et jugé comme le ramassis de fantasmes idéologiques d’un éden où la femme n’était pas entièrement soumise à son opposant masculin.
Choix de faits ou d’études sans le contexte, exclusion des points de vue masculins, interprétations fallacieuses, fantasmes féministes…. tels sont en substance les reproches faits à l’encontre de ce livre, reproches surtout basés sur les études ethno-archéologiques qu’ils dénoncent mais utilisent pour soutenir leurs propres hypothèses…
Pourtant après lecture, Lady Sapiens n’est à mon sens rien de plus que ce qu’il prétend être, à savoir un essai de vulgarisation voulant offrir un nouveau point de vue sur les relations sociales et de genre à une époque où l’humanité en était à ses balbutiements.
Rappelons que « vulgarisation » signifie : « fait d’adapter des connaissances techniques, scientifiques, pour les rendre accessibles à un lecteur non spécialiste ». Si à chaque essai de vulgarisation le ou les auteurs se font incendier par les articles pompeux et réducteurs de leurs pairs, je doute que cela encourage les jeunes chercheurs à sortir de leur zone de confort.
Evidemment que dans Lady Sapiens les auteurs ont volontairement écarté certains faits ou hypothèses afin d’éclairer leur propos, éviter de rendre le tout indigeste et mettre en avant ceux soutenant une réflexion plus nuancée des choses et plus ouverte.
Pourtant, les faits et études scientifiques décrits sont solides, bien documentés et sourcés, les hypothèses bien souvent nuancées et ouvertes, justement, à interprétation. La femme dépeinte n’est pas une Valkyrie idéalisée mais plutôt un membre à part entière d’une communauté qui n’aurait sans doute pas pu plus survivre sans elle que sans les hommes. Si l’on peut toujours lire la domination masculine en filigrane, celle-ci n’est plus absolue et les arguments proposés loin d’être des syllogismes faciles méritent que l’on s’y attarde et que l’on n’y réfléchisse.
Le fait qu’encore aujourd’hui on considère que l’évolution de l’humanité n’est due – ou presque – qu’à nos ancêtres chasseurs ou guerriers brutaux, est à mon sens, nier le rôle majeur de la sociabilisation et de la connaissance du monde végétal, majoritairement porté par les femmes et qui a permis l’établissement de sociétés de plus en plus complexes. Les dernières études et recherches semblent d’ailleurs aller dans ce sens tout en voulant en accorder le crédit quasi-exclusif à la gente masculine encore une fois… On se demande bien comment les hommes ont pu si bien maitriser les plantes tant occupés qu’ils étaient à chasser le mammouth ! Qu’ils étaient forts quand même ces bonhommes !
Plaisanteries mises à part, la grande question du partage sexué des tâches – épicentre de la majorité des critiques portées sur ce livre – n’est pas ici balayé d’un revers de la main par des arguments débiles, mais plutôt exploré sous une logique différente qui une fois de plus nuance les choses : si la chasse est bien reconnue comme une activité majoritairement masculine et nécessitant de quitter le clan parfois plusieurs jours d’affilés, il est alors impensable que les membres restés en arrière – que l’on suppose alors majoritairement de sexe féminin et/ou trop jeunes ou trop vieux – restent ainsi inactifs à attendre le retour de leurs héros. Tous les membres de la communauté devaient pouvoir maitriser plusieurs aspects des tâches du quotidien pour pouvoir survivre : comme fabriquer des outils simples, chasser le petit gibier, poser des pièges, pêcher ou coudre…
L’idée donc que les relations sociales aient été sans doute plus nuancées que l’on pourrait le croire en ces temps reculés où la survie de l’espèce n’était pas qu’une théorie et que les femmes aient eu accès à un savoir-faire, à des connaissances essentielles à la survie du groupe et au respect qui allait avec, ne semble pas si honteusement faux.
De là à imaginer la femme en matriarche suprême ou en symbole de pouvoir ou de déité ce serait un pas de trop à franchir, ce que ne fait pas le livre, même si il extrapole à la fin sur une possible déité, genre de « déesse-mère universelle » qui aurait guidé nos ancêtres au travers de ces fameuses « vénus » sculptées. « Vénus » que tous les scientifiques s’accordent tout de même à ne pas considérer comme de simples représentations sexuelles destinées à réjouir les hommes, mais plutôt comme des totems illustrant possiblement la maternité, la vie en tant que concept, si précieuse pour le clan.
Une chose est certaine, au vu des nombreuses gravures rupestres à caractères sexuels (pénis, vulves, pubis, femmes nues, corps entrelacés…) on peut sans crainte imaginer que nos ancêtres étaient sans doute moins coincés que nous et entièrement libres de nos carcans sociaux et religieux, ce qui laisse à penser que les liens sociaux, les relations amoureuses ou familiales et les rôles de chacun, n’étaient sans doute pas aussi rigides et soumis au genre qu’aujourd’hui.
De ce point de vue, oui Lady Sapiens est féministe, puisqu’il déclare haut et fort que l’évolution de l’humanité est née d’un effort partagé entre les membres des deux sexes et de tous les âges, chacun trouvant sa place naturelle dans un mode de vie encore nomade et largement communautaire, sans pour autant franchir la limite d’une société matriarcale, mais plutôt en imaginant des héritages matrilinéaires beaucoup plus importants que l’Histoire ne l’avait fait jusqu’à maintenant.
Un livre plaisant, riche en enseignements, à découvrir, à réfléchir et à discuter avec le recul mais aussi l’imagination nécessaire pour sortir des clichés que l’on nous a appris depuis si longtemps.