Véhicules autonomes : un cadre pénal enfin posé

La question de la responsabilité pénale en cas d’accident impliquant un ou des véhicules autonomes s’est posée dès les premiers essais, et avec l’évolution de cette technologie il était temps que le législateur pose les bases de ce que seront les futures règles de responsabilité pénale en France pour les véhicules DPTC (véhicules à délégation partielle ou totale de conduite). C’est chose faite avec la publication au Journal Officiel le 15 avril 2021 d’une ordonnance relative au régime de responsabilité pénale applicable aux véhicules à délégation de conduite.

Historique des bases légales françaises

3 août 2016. Ségolène Royal présentait en Conseil des ministres une ordonnance visant à autoriser les expérimentations de voitures autonomes sur les routes françaises. Problème, celle-ci ne donnait aucun détail et renvoyait à un futur décret en Conseil d’État.

30 mars 2018 : publication d’un décret « relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques » avec entrée en vigueur au 31 mars 2018. Son but est donc de déterminer les conditions de délivrance et des modalités de mise en œuvre de l’autorisation de circulation à des fins expérimentales de véhicules à délégation de conduite

Suite à ce décret le gouvernement promet un cadre de régulation à l’horizon 2022.

Décembre 2020 : le gouvernement notifie une future ordonnance et un projet de décret d’application pour encadrer le point particulier de la responsabilité pénale à la Commission européenne, conformément à l’article 31 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019.

14 avril 2021 : l’ordonnance numéro 2021-443 relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d’un véhicule à délégation de conduite et à ses conditions d’utilisation est présentée en Conseil des Ministres.

15 avril 2021 : l’ordonnance numéro 2021-443 est publiée au Journal Officiel.

Ordonnance du 14 avril 2021

Les grandes lignes du cadre légal des responsabilités.

La responsabilité du conducteur

Principe général : L’article L 121-1 alinéa 1 du Code de la route prévoit :

Le conducteur d’un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule.

L’article L.123-1 de l’ordonnance vient modifier ce principe pour l’adapter aux véhicules DPTC comme suit :

Art. L. 123-1.- Les dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-1 ne sont pas applicables au conducteur, pour les infractions résultant d’une manœuvre d’un véhicule dont les fonctions de conduite sont déléguées à un système de conduite automatisé, lorsque ce système exerce, au moment des faits et dans les conditions prévues au I de l’article L. 319-3, le contrôle dynamique du véhicule.
« Le conducteur doit se tenir constamment en état et en position de répondre à une demande de reprise en main du système de conduite automatisé.

En clair, si le véhicule est autonome, en ce sens qu’il a le contrôle dynamique à la place du conducteur, ce dernier n’est pas responsable pénalement.

L’article L. 123-1 de l’ordonnance ajoute toutefois trois exceptions à ce principe :

Les dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-1 sont à nouveau applicables :
« 1° Dès l’instant où le conducteur exerce le contrôle dynamique du véhicule à la suite d’une reprise en main de celui-ci ;
« 2° En l’absence de reprise en main du véhicule par le conducteur à l’issue de la période de transition faisant suite à une demande du système de conduite automatisé dans les conditions prévues au II de l’article L. 319-3 ;
« 3° Au conducteur qui ne respecte pas les sommations, injonctions ou indications données par les forces de l’ordre ou les règles de priorité de passage des véhicules d’intérêt général prioritaires prévues au présent code.

Nous constatons donc que bien que la responsabilité du conducteur puisse être écartée, il ne reste pas moins soumis à l’obligation de rester alerte. Comprendre que – par exemple – si il est prouvé que le système de conduite lui avait demandé de reprendre les commandes et qu’il ne s’est pas exécuté, le conducteur pourra alors être pénalement responsable en cas d’accident.

C’est encore le conducteur qui devra par exemple reprendre son véhicule en main pour obtempérer «  aux sommations, injonctions ou indications données par les forces de l’ordre ou les règles de priorité de passage des véhicules d’intérêt général prioritaires prévues au présent code ».

Aujourd’hui, la conduite autonome est assez peu avancée, malgré les annonces parfois grandiloquentes de l’industrie automobile. Il s’agit essentiellement d’assistance à la conduite — certains  constructeurs proposent des fonctions plus avancées, pour que l’automobiliste délègue davantage de tâches dans certaines circonstances. De façon générale, les véhicules se situent entre le niveau 1 et 2.

Numerama
Illustration autonomie véhicules NUMERAMA

A ce stade nous sommes donc toujours dans une configuration où la responsabilité du conducteur a de fortes chances d’être engagée.

La responsabilité du constructeur

Si la responsabilité du conducteur est écartée c’est alors le constructeur qui verra sa responsabilité engagée.

« Art. L. 123-2.-Pendant les périodes où le système de conduite automatisé exerce le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation, le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, est pénalement responsable des délits d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne prévus aux articles 221-6-1,222-19-1 et 222-20-1 du code pénal lorsqu’il est établi une faute, au sens de l’article 121-3 du même code.
« Sauf dans les cas prévus au 3° de l’article L. 123-1, lorsqu’une manœuvre effectuée par le système de conduite automatisé exerçant le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation contrevient à des règles dont le non-respect constitue une contravention, le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, est redevable pécuniairement de l’amende encourue.

En conclusion, la ventilation des responsabilités dépendra avant tout du moment où le véhicule est entre les mains du conducteur ou bien en autonomie, à savoir quand le système d’information a le « contrôle dynamique du véhicule ».

Mais en cas de contentieux, comment démontrer ce point ?

Accès et conservation des données

Afin de pouvoir déterminer la responsabilité de chacun en cas d’accident il est évidemment nécessaire de pouvoir accéder aux données du dispositif d’enregistrement des données d’état de délégation de conduite.

Le texte prévoit donc qui, dans quel cas et pour combien de temps cet accès pourra se faire dans l’article L.123-3.

« Art. L. 123-3. -I.-Sans préjudice des dispositions des articles 60-1,60-2,77-1-1 et 99-3 du code de procédure pénale, ont accès aux données du dispositif d’enregistrement des données d’état de délégation de conduite :
« 1° Les fonctionnaires du corps de commandement ou d’encadrement de la police nationale mentionnés aux articles L. 130-1 et L. 130-3 du présent code, lorsque le véhicule est impliqué dans un accident de la circulation ayant occasionné un dommage corporel ;
« 2° Les agents compétents pour constater les contraventions au présent code en application de l’article L. 130-4, à l’occasion des contrôles des véhicules et de leurs conducteurs ;
« 3° Le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ou les personnes visées aux trois derniers alinéas de l’article L. 121-3, en cas de constatation d’une des contraventions mentionnées à cet article.
« II.-Pour les fins précisées au I, le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, garantit l’intégrité des données mentionnées au premier alinéa ainsi que leur accès.
« Dans le cas où le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, a accès à ces données à distance, lorsque le véhicule est équipé de moyens de communication permettant de les échanger avec l’extérieur de celui-ci, les modalités de cet accès et de conservation des données, dont la durée ne peut dépasser six ans à compter de la date de l’accident dans le cas prévu au 1° du I, ou un an à compter de la date des faits dans les autres cas, sont précisées par décret en Conseil d’Etat.

Nous remarquons que le traitement et l’accès des données sera différent en fonction du type d’accident – avec ou sans dommage corporel – et dans le cadre d’accident corporel par exemple, le constructeur ou son mandataire aura également accès aux données. A noter que par le terme « mandataire » le texte ouvre manifestement l’accès aux données aux compagnies d’assurance.

Logiquement, le législateur a également prévu une extension de l’obligation de conservation des données pour les cas les plus graves : six ans en cas de dommage corporel, contre un an pour les accidents sans dommage corporel.

Devoir d’information

L’ordonnance prévoit également qu’il appartient au constructeur d’informer suffisamment le conducteur des conditions d’utilisation du véhicule autonome.

« Art. L. 319-1.-Le système de conduite automatisé est soumis à des conditions d’utilisation définies par le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018.


« Art. L. 319-2.-Les obligations d’information, préalables à la mise à disposition d’un véhicule à délégation de conduite, en cas de vente ou de location, sont fixées par l’article L. 224-68-1 du code de la consommation.

Le Code de la Consommation est donc modifié comme suit :

« Art. L. 224-68-1.-Préalablement à la conclusion d’un contrat de vente ou de location d’un véhicule à délégation de conduite tel que défini par le code de la route, le professionnel communique au consommateur une information relative aux conditions d’utilisation du système de conduite automatisé dont le véhicule est équipé.
« Le contrat de vente ou de location comporte la mention expresse de la fourniture de l’information mentionnée au premier alinéa.
« Le contenu de l’information visée au premier alinéa est mis à la disposition du professionnel par le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, sur tout support.
« Le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, garantit également l’accès public à des contenus informatifs par tout support, y compris de communication électronique.
« Un arrêté conjoint des ministres chargés des transports, de la sécurité routière et de l’économie fixe le contenu et les modalités de fourniture des informations prévues au présent article. » ;

Tout comme il est expressément prévu que si il appartient au conducteur d’activer le système de conduite automatique et de rester en état d’alerte constant, il appartient au constructeur de l’avoir préalablement informé de sa « capacité d’exercer le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation » :

« Art. L. 319-3.-I.-La décision d’activer un système de conduite automatisé est prise par le conducteur, préalablement informé par le système que ce dernier est en capacité d’exercer le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation.
« II.-Lorsque son état de fonctionnement ne lui permet plus d’exercer le contrôle dynamique du véhicule ou dès lors que les conditions d’utilisation ne sont plus remplies ou qu’il anticipe que ses conditions d’utilisation ne seront vraisemblablement plus remplies pendant l’exécution de la manœuvre, le système de conduite automatisé doit :
« 1° Alerter le conducteur ;
« 2° Effectuer une demande de reprise en main ;
« 3° Engager et exécuter une manœuvre à risque minimal à défaut de reprise en main à l’issue de la période de transition ou en cas de défaillance grave.

L’intervention à distance

Le texte prévoit également la responsabilité du personnel en charge des interventions à distance sur les véhicules autonomes.

« Art. L. 3151-3.-Toute intervention à distance telle que définie par voie réglementaire, ne peut être effectuée que par une personne habilitée, titulaire du permis de conduire correspondant à la catégorie du véhicule considéré.

« Art. L. 3151-5.-Toute personne habilitée telle que mentionnée à l’article L. 3151-3, qui effectue ou omet, y compris par négligence, d’effectuer une intervention à distance sur un véhicule à délégation de conduite exploité dans le cadre d’un système de transport routier automatisé, est responsable pénalement des infractions résultant de la manœuvre du véhicule lorsque cette manœuvre découle de son intervention ou de son absence d’intervention, ou lorsque cette intervention ou abstention n’est pas conforme aux conditions d’utilisation du système.

Cette responsabilité peut être également retenue si la personne en charge de l’intervention à distance est sous le coup d’une infraction au code de la route à titre personnelle, ou qu’elle fait l’objet d’une suspension de son permis de conduire.

Est également prévu le cas d’ivresse ou d’un taux d’alcoolémie supérieur au taux légal au moment de l’intervention à distance, idem pour « usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants » …

Des bases solides

Il était grand temps que le législateur établisse un cadre légal relatif aux véhicules DPTC compte tenu de la multiplication des tests en situation réelle et des évolutions de l’autonomie.

Ce texte semble poser les bases d’un cadre solide qui permettra d’effacer le flou juridique actuel, même si la réalité et la complexité de certaines situations risquent de devoir attendre la mise en place d’une jurisprudence plus affinée.

Nous pouvons craindre toutefois la sur-responsabilisation du conducteur qui se retrouve en première ligne dès lors que son obligation de vigilance peut être retenue. Le problème étant finalement la nécessaire interaction actuelle des véhicules autonomes et non autonomes qui à elle seule va générer logiquement la majorité des accidents.

Reste à voir comment ces règles pénales vont influer sur les règles civiles, notamment au regard du dédommagements des victimes. Va t’on voir par exemple apparaître une politique de sur-responsabilisation des véhicules autonomes versus véhicules non autonomes ?

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