L’économie de la fonctionnalité

Que vous soyez intéressé ou non par les grandes questions sociétales de notre siècle, ses nouveaux modèles économiques n’ont pu vous échapper tant ils occupent le moindre recoin de nos sociétés consuméristes. Gageure du 21ème siècle, la culture de l’usage – ou l’économie de la fonctionnalité plutôt que de la possession – règne en maîtresse absolue de nos habitudes de consommation.

Des médias à la restauration en passant par la mode et les voitures, nous avons pris l’habitude de pouvoir avoir accès à tout, tout de suite et n’importe quand, en fonction de nos besoins. Une consommation à la carte qui offre avantages et désavantages et semble être devenue la norme, tant et si bien que nous n’aurons bientôt peut-être plus le choix…

Les origines de cette nouvelle culture

D’où vient cette nouvelle tendance ? Est-ce que ce sont les acteurs économiques de ces nouveaux marchés qui ont suscité ce changement de paradigme ou est-ce que ce sont les habitudes des consommateurs qui ont contraint les acteurs économiques à revoir leur copie ? Sommes nous les victimes consentantes d’une machine marketing implacable ou avons-nous favorisé, voir engendré, ce changement de modèle économique ?

Abonnement, SaaS (Software as a service), leasing (location-vente), LLD (location longue durée), coopératives, nous sommes entrés dans une économie de la fonctionnalité qui semble s’être mise en adéquation avec une société beaucoup plus nomade et géographiquement changeante. Pour le consommateur la dématérialisation du produit par son usage, quelque soit le lieu et le moment, permet une souplesse et un suivi encore jamais atteint, alors que pour l’entreprise ces nouveaux modèles économiques séduisent par la récurrence des revenus et la plus-value que le consommateur est prêt à payer pour un service disponible et efficace H24 et 7j/7.

Certes, la tendance n’est pas nouvelle, les formules par abonnement existent depuis longtemps dans les médias et la téléphonie par exemple, mais elles ont pris depuis une vingtaine d’années une autre dimension avec l’essor du numérique.

Pour Denis Dauchy, professeur de stratégie d’entreprise et directeur de l’Executive MBA de l’Edhec, il y a conjonction entre l’essor du digital, qui bouleverse la stratégie des entreprises, et l’évolution des modes de consommation, notamment chez les jeunes. Ces derniers affirment de nouveaux besoins liés à leur mode de vie, plus mobile, moins linéaire que les précédentes générations : “Ils changent plus souvent de job, d’appartement, de ville, de pays…Les solutions en abonnement peuvent neutraliser les contraintes que fait peser cette instabilité, subie ou choisie. En outre, il y a quelque chose de sécurisant et de pratique dans la formule par abonnement, car en tant que souscripteur, j’ai la garantie d’avoir accès rapidement à ce dont j’ai besoin, mais que je ne peux pas ou ne veux pas m’acheter”.

Extrait article Les Echos « Notre vie sous abonnement, une économie en plein essor »

Du point de vue du consommateur, le modèle d’abonnement est particulièrement pratique et simple d’utilisation sur le papier : on paye une petite somme par mois, et on reçoit un bien ou service que l’on va utiliser. Si on ne l’utilise plus, on arrête de payer.

Pour une entreprise, la transition entre un modèle économique classique de vente à l’unité au modèle économique par abonnement peut être particulièrement complexe (business model, produit, marketing…). Toutefois, les avantages y sont conséquents, comme la fidélisation accrue du consommateur et une sécurité financière supplémentaire (grâce notamment aux paiements récurrents, mais aussi à la réduction du nombre d’impayés).

Si le 20ème siècle industriel avait axé le marché sur le produit, le 21ème siècle numérique axe à présent le marché sur le client, ou plutôt sur l’expérience client. C’est sur ce point que se joue la concurrence féroce des différents acteurs du marché. Prix, SAV, résiliation, suivi client, renouvellement de l’offre…. ce sont ces éléments qui vont engager ou non le consommateur et non plus le produit lui-même, noyé dans une masse concurrentielle toujours plus importante.

En 2019, 85% des consommateurs européens ont souscrit à au moins un abonnement et les français sont les plus adeptes (95%) devant les anglais (85%) et les allemands (68%).

Extrait article Journal du Net « L’abonnement, un modèle économique incontournable ? »

Plus qu’à un œuf ou à une poule, il semblerait que ce changement de notre culture de la consommation soit plutôt dû à une combinaison de différents facteurs : l’essor du numérique et du dématérialisé, de nouvelles générations beaucoup plus mobiles et sujettes à de nouveaux désirs, une baisse généralisé du pouvoir d’achat couplé à une envie de consommer toujours autant, la recherche par les acteurs économiques de nouveaux business model pour conquérir de nouveaux marchés, la tendance grandissante du greenwashing et d’une nouvelle philosophie de la consommation… Cette nouvelle économie de la fonctionnalité ne semble donc pas due aux méchantes entreprises qui auraient trouvé un nouveau moyen de nous tondre ou à l’inverse au seul consommateur qui l’aurait favorisé parce qu’il y gagnait. Les deux se sont répondus dans un contexte favorable à l’émergence de nouveaux modèles économiques, avec l’apparition tout d’abord de nouveaux acteurs qui ont comblés et créés de nouveaux besoins/désirs, et c’est ensuite naturellement, avec l’émergence de ces nouveaux marchés/besoins, que l’ensemble des acteurs économiques ont réinventé leur business model pour prospérer ou tout simplement pour survivre (souvenez vous de Kodac).

Est-ce pour autant une véritable forme libératrice de consommation qui permet une relation gagnant/gagnant entre entreprise et consommateur ?

La fonctionnalité comme libérateur de la propriété

« Jouir d’un service prime sur le bien et sur la possession »

Philippe Moati, co-président de l’Observatoire Société et Consommation – Article LSA-conso

Décroissance, minimalisme, essentialisme, économie collaborative… toutes ces nouvelles philosophies culturelles s’accompagnent d’abord par un lâcher-prise des anciens repères des générations qui nous précèdent : celui de l’accès à la propriété, celui de la possession. Posséder une chose était (?) un marqueur social, un signe de reconnaissance et de réussite. L’emprunter ou la louer, un signe de pauvreté, un marqueur honteux d’échec social. Le summum étant naturellement de remplacer cette chose par sa version améliorée dès que possible, par plus gros, plus grand ou plus technologique, sans jamais cesser la spirale de la consommation.

Ces marqueurs sont ceux du 20ème siècle, où la réussite sociale n’était prouvée que par la taille de votre maison, de votre voiture ou de votre cuisine. Ils sont encore présents aujourd’hui dans les pays dit « en développement » et dans les classes sociales les moins aisées qui, en consommant ces attributs d’une classe sociale qui leur apparaissait jusqu’alors comme supérieure, pensent s’en approprier les marqueurs de réussite, alors même qu’ils n’atteindront jamais les standards des élites qu’ils convoitent et qui demeurent toujours aussi inaccessibles.

La culture de l’usage a secoué ce contrat social tacite en introduisant dans l’esprit du consommateur l’idée que payer pour un service illimité et bien plus rentable et pratique que de posséder un produit qui nous rendrait le même service mais pour une durée limité. Que de cette façon nous aurions tous accès aux mêmes produits, à la même qualité, au même luxe. Que la possession n’est qu’une idée archaïque du siècle précédent qui nous oblige à nous encombrer de choses dont on ne va avoir qu’une utilité limitée voir unique. Pourquoi acheter si je peux en louer l’usage ? Pourquoi s’encombrer si je peux avoir un accès total quand je le désire en payant juste un abonnement ? Pourquoi posséder si je ne peux qu’utiliser ?

Ainsi, la culture de l’usage serait une libération de nos attachements matérialistes, une forme de décomplexification qui nous permettrait d’atteindre d’autres idéaux plus nobles, comme la quête de soi ou du bien-être, le respect de l’environnement ou l’élévation spirituelle : Moi consommateur, je reprend le contrôle et choisi délibérément ce que je veux posséder ou ce que je ne veux qu’utiliser, en fonction de mes besoins et de mon profil distinct.

La fonctionnalité comme catalyseur écologique

En se faisant fournisseur d’accès autant que fabricant, l’entreprise, au lieu de vendre un objet, en vend l’usage. Dès lors, puisque le fabricant reste propriétaire de son bien il a, logiquement, tout intérêt à en prolonger la durée de vie. Afin d’en maximiser le cycle de vente, il va ainsi limiter la dégradation des matériaux, voir même les intégrer dans un processus de recyclage ou de réutilisation en interne. A l’image de l’entreprise allemande SAFECHEM, qui en louant ses solvants à ses clients et en les récupérant en fin d’usage parvient à régénérer 90% de sa matière première qu’elle peut à nouveau mettre en circulation, générant ainsi plus de marge et plus d’investissement. Le client lui y gagne le soulagement d’une tâche qui lui était lourde (économiquement et structurellement) : débarrasser ses ateliers des bidons de solvants usagés dans les décharges adaptées.

Autre exemple d’économie de la fonctionnalité avec Michelin

L’entreprise Michelin est passée pour ses pneus poids lourds haute technologie, de la vente à la facturation au nombre de kilomètres parcourus. L’offre inclue pour le client l’ensemble des contraintes liées à leur usage : montage, surveillance, usage, optimisation de la consommation de carburant au kilomètre… L’entreprise a ainsi diminué de plus de 3 fois sa consommation de matière et a augmenté sa marge. De leur côté, les clients ont vu les coûts de ce poste baisser de 36%, et ceux du carburant au kilomètre de 11%. Michelin a depuis augmenté sa part de marché de 50% en Europe. (Source : « L’Economie symbiotique » d’Isabelle DELANNOY. )

En maintenant le produit en circuit fermé et contrôlé, les acteurs économiques en diminue l’impact économique, structurel et écologique. En effet, il y a beaucoup moins de risques avec ce système de retrouver des bidons de solvants ou des pneus dans la nature. L’économie de la fonctionnalité pousse le fabricant a prendre la responsabilité de sa production, non pour des raisons purement écologique (ou pas souvent) mais pour de simple questions économiques de marges et de rentabilité, créant un cercle vertueux entre producteur et consommateur, qui de son côté à tout à gagner à respecter le produit dans son usage et à le rendre lorsqu’il n’en a plus l’utilité au lieu de simplement s’en débarrasser, généralement de la manière la moins coûteuse possible.

« On passe d’une situation de compétition entre producteur et consommateur autour du prix de vente d’un produit – l’un cherchant à vendre au prix le plus élevé et l’autre cherchant à acheter au prix le plus bas – à des relations généralement contractuelles, dans lesquelles le prestataire va chercher à satisfaire au mieux les besoins de son client, allant même dans certains cas jusqu’à coproduire avec lui la fonction« . Et où « la qualité, le résultat final, seront en partie liés à la capacité à comprendre les besoins du bénéficiaire et à coopérer avec lui« . (Source : « L’Economie de la fonctionnalité » de Johan Van Niel).

Toutefois, le cercle vertueux ne peut véritablement se créer quand dans une boucle où se situe le fabricant. Dès lors qu’il disparaît de la chaîne en passant par des intermédiaires ou des filières tierces (pour la vente ou le recyclage par exemple), la synergie positive s’amenuise, voir disparaît totalement. Production, consommation et gouvernance doivent rester étroitement liées.

La fonctionnalité comme catalyseur social

D’autres exemples au premier abord moins évident à concevoir comme faisant parti de cette culture existent pourtant depuis des années : l’open source, les logiciels libres et les fablabs.

Nota : Les désignations logiciel libre et open source sont en réalité deux désignations concurrentes pour un même type de licence de logiciel. En utilisant la désignation logiciel libre, on tient à mettre en avant la finalité philosophique et politique de la licence, tandis que la désignation open source met l’accent sur la méthode de développement et de diffusion du logiciel. (Wikipedia)

Grâce au développement de ces méthodes et idéologies de mise en coopération des ressources (outils, savoir-faire ou matière grise) de nombreux individus, groupes ou même pays ont pu accéder à des outils d’émancipation ou de développement économiques, sociétaux ou culturels tout en apportant à leur tour leur pierre à l’évolution constante de ces pratiques. La mutualisation des sources et des ressources pour la création ou l’exploitation a déjà largement démontré son efficacité et l’internet a rendu possible ces coopérations et coopératives à une échelle internationale.

Que ce soit pour la gloire, le défi intellectuel ou par conviction politique, chaque maillon de ces chaînes de valeur collaborent ensemble à un projet qui redonne du pouvoir au consommateur et à l’individu, avec toute la flexibilité nécessaire à l’émergence de l’innovation et de la créativité.

Comme l’explique par exemple Adrian Bowyer lui-même (fondateur de l’imprimante 3D RepRap) dans sa vision – pour le coup – éminemment politique des choses :

« La Machine à prototypage rapide réplicable va permettre l’appropriation révolutionnaire des moyens de production par le prolétariat. mais elle va le faire sans les dangereux et défaillants aspects de la révolution, et même sans ceux de l’industrie. J’ai donc décidé d’appeler ce processus marxisme darwinien »

Adrian Bowyer

Ces systèmes ont toutefois une limite : dès lors que l’on sort de la phase de conception ou de prototypage pour se lancer dans une phase de production, le modèle de croissance revient très vite à des schémas industriels traditionnels. Les contributeurs ne peuvent être bénévoles que parce que leur vie est assurée par ailleurs par un emploi classique du système existant.

 » Le mouvement des makers s’y adosse [au système existant] : il apporte une variation sans le remplacer. Le Libre dépend alors matériellement du non-libre : il ne sait pas se régénérer économiquement. »

Isabelle DELANNOY « L’Economie symbiotique ».

N’en reste pas moins que si le « libre » et les « fablabs » peinent à trouver des modèles économiques viables sur le long terme – parce que dépendant des contributeurs bénévoles, eux-même dépendants pour leur subsistance du système existant – ils restent un formidable catalyseur d’idées et d’innovation, un laboratoire à l’échelle d’une université, d’une ville, d’un pays ou du monde.

Un excellent exemple pour illustrer ce propos avec Wikispeed, la première voiture open source à découvrir.

Dans un domaine plus terre à terre, ces nouveaux usages ont également permis le développement de nouveaux modèles, comme avec la plateforme de vente en ligne Aurore Market par exemple, qui propose des produits bios moins chers à ses abonnés, les abonnements (60 € par an) permettant de financer l’accès aux prix adhérents à des familles à faibles revenus. Ou encore avec C’est Qui le patron ? une coopérative mettant en relation directe consommateurs et producteurs afin de créer ensemble le cahier des charges des produits qui seront fabriqués et vendus. Chaque sociétaire a une voix et chaque décision (choix des produits à développer, composition, cahier des charges, rémunération des producteurs, prix final du produit…) est prise à la majorité des suffrages exprimés en ligne et contrôlée par les consommateurs. La coopérative se rémunère en prélevant 5 % sur les ventes réalisées et 2 % sur les produits labellisés. Une forme de gouvernance ouverte qui remet l’individu au centre de la décision, le but étant que chaque produit assure la juste rémunération de son producteur.

La fonctionnalité comme nouvelle forme d’aliénation

L’économie de la fonctionnalité semble une réponse toute trouvée aux déséquilibres de nos sociétés de consommation, ayant le potentiel de remettre fabricant et consommateur sur un pied d’égalité dans une relation contractuelle où toutes les parties seraient gagnantes. Mais cela est-il vraiment le cas ?

I – S’agissant des biens de consommation « traditionnels » il semble qu’il s’agit majoritairement plus d’une question de facilitation d’accès à des biens que nous ne pourrions pas acquérir et pour favoriser une boucle de consommation constante, plutôt que d’un véritable changement culturel. En utilisant l’économie de la fonctionnalité, le fabriquant ou le tiers intermédiaire élargi un marché pré-existant sans pour autant créer une plus-value à ce changement dans notre mode de consommation. Les répercussions sociales, écologiques ou même économiques sont nulles pour le consommateur qui n’est toujours qu’un rouage de l’économie de marché, même si le glissement de la propriété vers l’usage permet une démocratisation des accès et une certaine flexibilité.

Si je prend l’exemple de Boulanger Location, qui a fait le pari de démocratiser la location dans le domaine de l’électroménager en France, je me rend quand même vite compte qu’acheter mon lave-linge serait bien plus rentable qu’une location, celle-ci étant plus chère, même sur une période d’un an. Toutefois, la plus-value que je payerai pourrait-elle être compensée par l’expérience client ? Mon appareil serait remplacé automatiquement en cas de panne sans surcoût, je peux en changer quand je veux même avant la fin de mon contrat, pour une version améliorée ou moins chère… mais je ne peux résilier un contrat avant sa fin. Je suis donc engagé pour une durée X dans tous les cas. La location me permet donc un accès à des appareils que je n’aurai peut-être pas les moyens d’acquérir, surtout sur une longue période de location (au-delà d’un an les tarifs deviennent beaucoup plus intéressants, sur un an l’acquisition semble plus rentable), mais dans le même temps, si je n’ai plus les moyens de payer ma location en cours de contrat je me retrouve endetté, un peu comme un crédit à la consommation finalement. La plate-forme n’étant en plus pas le fabricant, y a t’il une véritable économie vertueuse qui peut se créer puisque nous avons vu qu’il était primordiale que le fabricant soit investi dans le circuit pour qu’une véritable économie circulaire puisse se mettre en place.

C’est toutefois à mon sens une excellente solution pour les bailleurs de meublés ou les locataires qui ne souhaitent pas investir ou s’encombrer une fois le bail résilié. La location étant encore extrêmement répandue il y a tout un marché à découvrir et à développer autours de la fonctionnalité, marché qui pourrait à terme intégrer les fabricants afin de se prémunir de l’obsolescence et valoriser le recyclage ou la réutilisation des composants.

Autre exemple avec la LLD pour un véhicule, qui repose sur le même principe. Plus vous investissez au départ, plus la durée sera longue et le kilométrage faible, plus le tarif sera intéressant. Mais qu’en est-il du parc automobile une fois impropre à la location ? Le fabricant a t’il un réel intérêt à prolonger la durée de vie de son parc ou à s’impliquer dans son recyclage ? Car si il existe bien un marché du LLD d’occasion, le fabricant n’y est – à ma connaissance – jamais impliqué.

Il n’y a donc aucune réelle plus-value à ce système puisqu’il va seulement permettre à des personne n’en ayant pas forcément les moyens de rouler avec des véhicules neufs ou d’une gamme supérieure, favorisant ainsi le marché et la production desdits véhicules. Nous pouvons évidemment y voir un moteur économique, voir même social, puisque permettant l’accès à certaine gamme de véhicules à des personnes à faibles revenus, ce qui est vrai. Toutefois, il ne fait finalement que répéter la recette d’un marché économique que nous connaissons déjà, sous une forme qui ne génère, à plus long terme ou plus grande échelle, aucune évolution de nos modes de vie ou de consommation.

II – Concernant les « services » ou « biens immatériels« , l’essor du numérique et du tout dématérialisé a généré un énorme marché de l’abonnement : nous consommons sans limite ou presque mais sans rien posséder. Pourtant, comme nos goûts évoluent et les modes passent, ce genre de plateformes semblent parfaitement adaptées à leur temps. La location des « services » comme des VPN, des logiciels ou des applications particulières permettent une consommation à la carte, en fonction de ses besoins à un instant T, ceci à la condition évidemment, que le prestataire offre la flexibilité nécessaire. Toutefois la grande époque des résiliation cauchemardesques à la Canal + ou Numéricâble est quasiment révolue. Grâce notamment aux nouveaux acteurs du marché qui ont bouleversé les habitudes des vieilles institutions en simplifiant les démarches, réduites à présent bien souvent à quelques clics, et misant sur une fidélisation volontaire plutôt que sur des techniques dignes de la « prise d’otage », mais également aux nouvelles lois sur la consommation qui protègent le consommateur des engagements longs termes verrouillés et des achats coup de tête.

Les plateformes de contenus médias sont les exemples les plus connus, avec Deezer, Spotify ou Netflix en tête. Chez Spotify ou Deezer, par exemple, pour 9,99 €/mois, soit 119,88 € par an, j’ai un accès complet à tout leurs catalogues, sans publicité, la seule restriction étant que le compte est à usage unique. Vu les prix des CDs, hors promotion, l’avantage semble indéniablement aller vers le dématérialisé. Même chose pour Netflix, avec l’abonnement milieu de gamme à 11,99 €/mois ou 143,88 €/an, soit un peu plus que la redevance télé, si l’on apprécie le contenu proposé évidemment. Vu le prix d’un ticket de cinéma et le contenu des chaînes publiques je crois que les chaînes de streaming ont encore de beaux jours devant elles. Dans ces cas de figure, le dématérialisé a transformé le marché, redonnant un minimum de pouvoir au consommateur qui jusqu’alors était entièrement dépendant du bon vouloir des labels et des producteurs. Quant on voit que certains CDs valent encore 20,00 € à leur sortie, un abonnement à une plateforme dématérialisée est rentabilisé en à peine deux mois. même chose du côté du cinéma, puisque les plateformes de streaming sont devenus productrices de contenu en plus de fournisseurs, offrant un contenu exclusif, différent et de manière plus régulière pour maintenir l’intérêt de l’abonnement. Si le consommateur reste un acteur passif de ce marché, il en a tout de même bénéficié avec une offre beaucoup plus large et un accès au poids économique plus faible.

Cette simplification a toutefois son effet pervers, car elle favorise en parallèle l’arrivée sur les marchés d’acteurs peu scrupuleux ou simplement mauvais qui comptent sur un marketing tape à l’œil et agressif pour attirer le chaland grâce à des prix attractifs, misant cette fois justement sur les tendances infidèles du consommateurs, ravi d’économiser quelques euros en partant chez la concurrence tous les 6 mois. La fidélité du client n’a ici plus d’importance, car seul compte un turn-over constant. Nous assistons donc à une guerre des prix et des conditions féroce, avec deux écoles principales : quantitative ou qualitative. Sans surprise donc.

Nous pouvons également nous interroger sur l’impact écologique de ces nouveaux services extrêmement gourmands en énergie au travers des serveurs qui les hébergent ou des matières premières utilisées par les outils qui nous permettent d’en profiter. Quelle part de responsabilité dans ce gouffre énergétique et écologique les acteurs économiques devraient-il prendre afin de rendre à la société les bénéfices qu’ils en ont tiré ?

Du côté des professionnels le SaaS (Software as a Service) a le vent en poupe. La location des logiciels pro incluant la maintenance et les mises à jour est devenue la norme. Tant et si bien que vous ne pouvez parfois même plus acquérir le logiciel si vous le souhaitiez (exemple avec Photoshop CC). Vous n’achetez donc qu’un droit d’utilisation qui ne durera que le temps de votre abonnement.

Si ce système a ses avantages : vous disposez toujours de la dernière version du logiciel et donc des dernières fonctionnalités qui vont avec, cela pose tout de même la question du libre arbitre de l’utilisateur qui devra à chaque fois s’adapter à une nouvelle version alors même qu’il pourrait préférer une version antérieure, voir qu’il devra essuyer les plâtres d’une mise à jour buggée, ou encore qu’il va bien souvent payer pour un pack alors même qu’il ne voudrait que telles ou telles fonctionnalités qui, seules lui auraient coûté moins chères.

De même, bien qu’il existe pléthores de logiciels pour tout et n’importe quoi, du libre au payant ou par abonnement, certains logiciels font toutefois référence dans leur domaine et il est sans doute difficile pour un professionnel de passer outre. Certains reprochent donc ce monopole laissé aux sociétés qui détiennent ces logiciels au prétexte qu’en cas de coup dur c’est l’outil même du professionnel qu’il ne peut plus utiliser, alors qu’un achat antérieur de la licence lui aurait permis de faire face à cette mauvaise période. Personnellement, je trouve cet argument légèrement naïf, tant par l’idée implicite suggéré que les sociétés devraient prendre en considération ce genre de problème ( ce serait quand même beau) que par la non prise en considération de l’obsolescence extrêmement rapide des logiciels aujourd’hui.

N’en reste pas moins que ces systèmes d’abonnement retirent une grande part de la gouvernance du consommateur qui n’a finalement plus son mot à dire sur le quoi, le comment ou le quand. Les nouveautés et mises à jour n’étant généralement pas pensées avec lui ou forcément adaptées à son domaine d’activité, mais plutôt pensées pour créer un marché ou attirer de nouveaux clients.

Pour conclure sur l’économie de la fonctionnalité

Que notre consommation soit dématérialisée ou louée, elle n’a dans tous les cas pas diminué ni intégré dans sa grande majorité la notion de cercle vertueux qui pourrait découler de ces nouveaux usages. La multiplication et la démocratisation des pratiques et des marchés liés à cette économie de la fonctionnalité n’a pas nécessairement pris en considération les besoins réels des consommateurs, misant finalement sur les réflexes de consommation traditionnels, n’apportant aucune réelle plus-value sur le long terme ou sur un plan plus large.

Si ces méthodes sont efficaces et utiles, elles n’ont rien changé à nos sociétés de marchés, créant simplement de nouveaux marchés ou s’adaptant pour maintenir les anciens, et si sur le principe, la culture de l’usage revendique et permettrait une libération du consommateur, dans les faits, son utilisation et son mode de fonctionnement ne font que maintenir majoritairement son aliénation. Nous maintenons les mêmes circuits de production de masse, nous utilisons les mêmes rituels de consommation, nous retournons un produit au lieu de le jeter mais sans nous en préoccuper plus… rien n’a finalement beaucoup changé.

Il existe toutefois des cas particuliers, des pionniers, dont les modèles pourraient redéfinir nos modes de consommation futurs et permettre la création d’une véritable chaîne de valeur qui prendrait en considération production, consommation et gouvernance, et l’économie de la fonctionnalité est en parfaite adéquation avec cette vision des choses, si elle n’est pas réduite à un simple mode de consommation. Elle pourrait devenir l’outil d’une nouvelle économie permettant des relations contractuelles dans lesquelles producteur, consommateur mais également environnement direct, pourraient bénéficier de ses effets positifs.

2 réflexions sur “L’économie de la fonctionnalité

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