The filter bubble

Claque magistrale à l’opinion publique bien-pensante occidentale, l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche a permis – pour certains – de constater l’étendue de la puissance des GAFA et le rôle indirect qu’ils peuvent jouer chaque jours à un niveau géopolitique et géostratégique insoupçonné.

Pourtant dès 2012, Eli Pariser avait déjà sonné l’alarme avec son livre : The Filter Bubble : How the New Personalized Web Is Changing What We Read and How We Think ( = La bulle de filtre : Comment le nouveau web personnalisé est en train de changer ce que nous lisons et comment nous pensons) qui mettait en lumière pour la première fois la notion de “filter bubble” ou bulle de filtre ou de filtrage sur internet, avec l’arrivée de nouveaux algorithmes dès 2009.

A l’image de “qui se ressemble s’assemble”, les algorithmes de nos outils sociaux et moteurs de recherches internet nous présentent des résultats ou des suggestions en fonction de nos préférences de navigation.

Avec la collecte de nos données personnelles nous sommes “profilés” en fonction de notre âge, nos préférences politiques, notre religion, notre niveau d’étude, nos centres d’intérêts… ce qui a pour conséquence directe un web aseptisé pour nous plaire.

 » Petit à petit, Internet devient votre Internet, toujours plus serviable, toujours plus étroit et partisan ».(Thibault Prévost)

Pour résumé le principe : en tapant les mêmes mots clefs, deux personnalités antagonistes n’auront pas le même résultat.

Ajoutez à cela notre tendance humaine narcissique à rechercher en priorité ce qui nous plaît et nous fait écho et vous comprendrez alors l’étendu de l’abysse qui peut se creuser entre notre vision du monde et celle de notre voisin.

Un simple “like” ajouté à un “ne plus voir les publications de cette personne” plus un petit “retweet”, et vous construisez vous-même clic par clic la bulle dans laquelle internet va vous enfermer.

« La bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook. » Dominique Cardon.

Concrètement, au regard de cette fameuse élection américaine, cela a résulté en un cafouillage médiatique monumental qui n’a pas su prédire, ou n’a même pas envisagé, la victoire du camp Trump.

Enfermés dans leur bulle miroir, les médias politiques n’ont rien vu et ont même prédit l’inverse de ce qu’il s’est produit. La réalité des électeurs de Donald Trump ne leur est pas apparu dans toute son ampleur, ni l’impact de sa campagne, puisqu’ils ne les voyaient tout simplement pas évoluer sur le web.

A mon sens toutefois, même si le rôle de la filter bubble ne peut être nié, il convient de ne pas non plus réduire le résultat de telles élections au bon vouloir d’un algorithme personnalisé. Une réelle prise de conscience des médias et des élites intellectuelle doit avoir lieu sur la fracture existante entre eux et le reste du monde. Fracture idéologique, sociale et culturelle exponentielle qui ne fait que se refléter dans nos bulles de filtrage.

Aussi doit-on pour autant blâmer les algorithmes qui ne font finalement que répondre à nos désirs conscients et inconscients ? qui assurent aussi un filtrage continu des contenus violents, pornographiques ou choquant pour les plus fragiles ? peut-on avoir l’un sans l’autre ?

A l’heure où la presse et les politiques demandent des comptes aux GAFA sans vraiment reconnaître leur propre faiblesse et leur propre bulle de confort narcissique, peut-on exiger des géants du web une censure à toute épreuve et une sainte neutralité en même temps ?

Peut-on lancer la chasse aux fake news tout en encourageant dans le même temps le soutien des courants de pensées politiquement correct sans y voir une hypocrisie dangereuse pour la liberté de pensée ?

A force de demander aux GAFA de s’engager politiquement ne sommes-nous pas en train de construire une bulle de filtrage politiquement correcte mondiale qui flottera au-dessus de la merde sans jamais la voir ?

Pour reprendre l’exemple des élections américaines, alors même que les géants du net et la quasi-majorité de la Silicon Valley crachait sur Donald Trump, celui-ci est pourtant sorti victorieux des urnes. N’est-ce pas plutôt le signe encourageant qu’internet n’en est pas encore au stade où il décidera des élections d’une nation ? que le système démocratique a gagné malgré tout ? que certaines limites n’ont pas été franchies ?

Pourquoi alors au sortir de cette campagne déjà franchement basse a t’il fallu faire le procès des GAFA et d’internet en les jugeant quasiment seuls responsables des résultats.

Si l’on reprend la logique de la bulle de filtrage, finalement les fake news et autres théories jugées farfelues ou complotistes n’ont atteint que des individus déjà convaincus, renforçant des convictions préexistantes plutôt que les créant. Sauf peut-être à force d’être reprises par les grands média tous bords confondus pour faire du clic ont-elles atteints les indécis…Les unes des grands journaux portant bien souvent plus sur les débordements tartuffes de Trump, les fake news ou la campagne d’influence russe plutôt que sur les enjeux politiques ou les électeurs.

Il appartient bien sûr à chacun de se responsabiliser lorsqu’il surfe sur le web, de prendre conscience qu’il ouvre une fenêtre sur le monde et pas que sur son monde. Vous pourrez lire nombre de conseils condescendants encourageant la population à sortir de sa zone de confort pour se confronter à l’autre, tout en faisant la promotion des sites reconnus officiellement comme “la” vérité. N’est ce pas aussi une forme de propagande ? N’est pas finalement hypocrite de rejeter la responsabilité sur les internautes en leur demandant de s’éduquer en suivant seulement certains préceptes ?

Je ne pense pas qu’il existe une bonne réponse ou une solution à toutes ces questions.

Nous en revenons finalement toujours à la question piège de l’éducation face à l’objectivité et à celle de la protection des données personnelles.

Un enfant n’a pas le recul nécessaire pour s’éduquer seul sur internet, et malheureusement, souvent pas plus que ses parents.

Il devient extrêmement difficile de garder un minimum de contrôle avec la multiplication des supports et des accès. Tout interdire revient basiquement à laisser une cocote minute sur le feu, ne rien faire : jeter une grenade dégoupillée en espérant qu’elle n’explose pas.

La bulle de filtrage participe aussi à ce rôle de protection pour les plus influençables et fragiles si la base est évidemment saine. Le retour de flamme étant qu’elle nous enferme dans ce que nous voulons et/ou dans ce que le net nous a influencé à choisir peu à peu.

Devenir des consommateurs proactifs du net semble être la meilleure solution, au lieu d’accepter passivement les suggestions de nos outils sociaux et les résultats des moteurs de recherches. Mais je pense que cela s’apprend et s’entretien. Ce qui est l’une des raisons pour lesquelles je soutiens fermement le principe qu’internet devrait être enseigné à l’école, pas comme un simple outil, mais comme l’infinité qu’il est devenu, ses principes, son fonctionnement, les personnalités qui ont marqué son histoire, ses trésors et possibilités, ses travers et ses faiblesses, sa face cachée aussi, son côté sombre…

L’IA, les algorithmes, les bots, les objets connectés sont en passe de dominer le monde, mais ce sont des outils avant tout, ils ne sont que le reflets de ce que nous en faisons. Et comment responsabiliser au mieux ses utilisateurs si ce n’est en leur apprenant à les comprendre pour pouvoir ensuite mieux les utiliser ?

Il y a tout un monde derrière chacun de nos clics et il serait temps que nous en prenions conscience.

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