Secret World Legends ou la revanche de Funcom

Le 28 mars dernier Funcom annonçait officiellement le futur lancement de Secret World Legends, un « shared-world action RPG » alias « jeu de rôle d’action dans un monde partagé » (manifestement MMORPG c’est has been) promettant une refonte complète et moderne du mmo dont il est issu.

Car Secret World Legends est en fait un (re)lancement de The Secret World, MMORPG éponyme du studio sorti en 2012 et éternel incompris du segment, comprendre échec commercial cuisant.

Alors pourquoi relancer en 2017 une licence qui vivote dans son coin depuis 5 ans ?

Le succès inespéré de Conan Exiles semble avoir redonné de la fougue au studio qui a décidé de miser sur une autre licence forte de sa gamme pour son retour en grâce.

Car si The Secret World reste un bide commercial à sa sortie, il n’en reste pas moins l’un des rares MMORPG qui se maintiennent encore dans un segment dévasté par les sandbox et les free-to-play dégueulasses.

MMORPG créé et développé par Funcom, il est sorti officiellement le 03 juillet 2012 et a atteint péniblement les 600.000 exemplaires vendus (à la louche) la première année. Bien que présenté comme un jeu de niche, ce score très insuffisant pour le marché du mmo a obligé Funcomà s’adapter rapidement : licenciements importants, passage à un nouveau modèle économique de type Buy-to-Play au bout d’une année, etc….

Difficile de trouver des statistiques officielles pour ce jeu – comme pour beaucoup de mmorpg d’ailleurs – mais il est toujours intéressant d’avoir quelques chiffres indicateurs aussi je suis allée farfouiller sur le site de Jeu Online pour avoir un ordre d’idée de l’évolution des stats du jeu de sa sortie à aujourd’hui.

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Nous pouvons constater que malgré une faible population, celle-ci reste relativement stable depuis 2012 une fois le grand exode de la première année passée et personnellement je trouve que la répartition par tranche d’âge parle d’elle-même quant au background et à la qualité du jeu.

The Secret World – Retour sur les raisons d’un échec annoncé

Afin de comprendre ce choix sans doute stratégique de Funcom de relancer The Secret World (TSW), je me suis interrogée à nouveau sur les raisons de l’échec commercial de cette licence à sa sortie.

Ayant été personnellement plutôt bluffée par la qualité scénaristique, d’immersion, de level design et des instances de ce jeu, j’ai ma propre idée des raisons de cet échec. Toutefois, je précise que les raisons que je vais évoquer ici ne représentent pas forcément mon opinion sur le jeu mais plutôt une réflexion, un constat objectif sur cette licence.

Raison numéro 1 : C’est Funcom

Que l’on soit d’accord ou non les déboires de Age of Conan peu de temps après sa sortie ont décrédibilisé le studio qui a mauvaise réputation auprès des joueurs : jeu pas fini, bugs intempestifs, PvP de masse injouable, manque de contenu, etc…

Passé la curiosité des bêtas peu de joueurs ont suivi la release et donné une véritable chance au jeu et au studio, passant à côté de la prise de risque et de l’originalité dans un secteur très frileux.

Raison numéro 2 : Le marketing

Dès les premiers teasers, screens ou vidéos le studio a vendu son jeu sur un concept : le mystère.

Évidemment cela colle parfaitement à l’univers mais a isolé le jeu dans un créneau à part : The Secret World a été perçu dès le début par les journalistes spécialisés et les joueurs comme un jeu de « niche ».

Bien que TSW ai un angle de vue très particulier et personnel il a malgré tout été créé pour la masse et les prévisions financières ne se basaient certainement pas sur un panel de joueurs aussi léger.

Loin des blockbusters de la concurrence le studio s’est contenté de murmurer son jeu, jouant sur le mystère et sur une campagne marketing très intimiste, qui bien que très intéressante, ne visait finalement que les fans de la première heure qui participaient à fond aux différentes enquêtes en ligne et autres secrets autours du jeu.

La véritable publicité a débuté trop tard et avec les moyens d’un studio comme Funcom (= pas un gros studio contrairement aux idées reçues).

Bien que les joueurs s’en défendent, ils sont aussi réceptifs à la pub que n’importe quel autre consommateur et les journalistes aussi, qui vont alors privilégier les informations sur les jeux rentables.

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Raison numéro 3 : Un mauvais timing

  • a) premier mauvais constat pour TSW sa sortie et le buzz autours du jeu ont été éclipsés par un autre mmo qui avait, avant même sa release, déjà explosé ses prévisions : Guild Wars 2. Arenanet contrairement à Funcom a su maintenir un buzz constant autour de son jeu. Deux ans avant sa sortie officielle il avait même déjà remporté des prix aux différents salons du jeu vidéo, comme à la Gamescom en 2010 par exemple. Perçu dès le départ comme un futur « hit » il a totalement évincé le bébé de Funcom.
  • b) second mauvais constat pour TSW : Une première date de release repoussée, ce qui lance déjà de mauvaises ondes, puis une release prévue début juillet, soit au début des vacances d’été. Pas vraiment le meilleur moment pour sortir un produit qui est sensé vous demander de rester enfermé pour en profiter. On peut donc s’interroger sur la justification d’une telle date : impératifs financiers ? pari ? Toujours est-il que les joueurs n’ont pas répondu présent.

Raison numéro 4 : Le modèle économique

TSW est sorti comme un jeu à abonnement, c’est à dire qu’une fois le jeu acheté il fallait en plus payer un abonnement mensuel pour pouvoir y jouer.

De mémoire celui-ci se situait dans les 14 euros par mois.

Modèle économique pourtant encore traditionnel des mmorpg à l’époque, il devra faire face à la montée en puissance des free-to-play et autre modèles économiques pseudo gratuit.

De plus, force est de constater que malgré le fait d’être sorti avec un modèle économique à abonnement TSW était pourtant bâti pour un modèle F2P : cash shop en jeu, obligation de paiement pour débloquer des emplacements de personnages supplémentaires par exemple, sortie de mini extension mensuelle avec quêtes et nouveautés…

Le résultat fut inévitable et beaucoup de joueurs et de journalistes n’ont pu s’empêcher de se poser la question de la validité d’un abonnement – en plus plutôt élevé – alors que les mécaniques financières du jeu tendaient à un modèle F2P, d’où un scepticisme et une incompréhension des consommateurs.

Dans l’esprit de beaucoup le jeu allait rapidement devenir F2P et au final il ne servait à rien de l’acheter avant.

L’avenir leur a donné raison puisque TSW est passé B2P le 12 décembre 2012 et on ne pourrait en vouloir aux joueurs de la première heure de ressentir une certaine frustration. A trop vouloir le beurre, l’argent du beurre et la crémière, Funcom ne se serait-il pas planté en courant deux lièvres à la fois ?

Raison numéro 5 : Une narration particulière

Pénétrer dans l’univers de TSW pour une grande partie des joueurs fut comme entrer dans un cinéma d’art et essai alors qu’ils pensaient aller dans un multiplex : ce fut le choc des cultures. TSW est un jeu à ambiance, à clins d’oeil, à références multiples et à l’humour très piquant.

Si le joueur ne lis pas les quêtes, ne regarde pas les nombreuses cinématiques ou les multiples documents disséminés dans le monde, non seulement il passera à côté de tout l’intérêt du jeu, mais en plus il n’y comprendra rien et sera souvent incapable de mener une quête un peu complexe à son terme.

Dès la release la zone de départ et le canal général de discussion étaient emplis de « qu’est ce qu’il faut faire pour … » « je ne trouve pas ça … »  » je ne comprend pas ça … » ce qui démontre une incapacité souvent permanente d’une certaine population de joueur à dépasser l’assistanat auquel ils sont habitués.

Attention il ne s’agit pas ici d’une question de QI mais bien de mauvaises habitudes prises sur tous les autres mmo qui ne nécessitent pas un investissement plus profond du joueur que le simple fait de taper sur un mob.

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Quel intérêt en effet de lire une quête qui vous dis d’aller tuer 10 loups qui font peur aux fermiers du coin ?

Habitués à des phases de leveling souvent insipides la nouvelle génération de joueurs ne comprend pas que beaucoup de l’intérêt de TSW résidait justement dans la phase de progression de son avatar. D’où un désintérêt, une flemme, provoqué par des mécaniques de jeu qui empruntent beaucoup aux rpg solos et ont déstabilisé les joueurs qui n’ont pas voulu chercher plus loin.

On peut alors se poser la question de la justification d’une telle mécanique dans un mmorpg qui, par nature, est sensé nécessiter de grouper pour découvrir tout le jeu. Pourtant, au vu des multiples licences sorties ces dernières années, force est de constater que les phases de leveling sont pour la plupart solotables ou même, à l’instar de GW2, atteignent des sommets dans l’absence de nécessité d’avoir un groupe stable ou une guilde. Alors pourquoi cette allergie à TSW ? Serait-ce finalement parce que le jeu sollicite régulièrement notre réflexion ? Parce qu’il bouscule un peu trop les canons du genre et perturbe les joueurs ? Parce que pour une fois le jeu ne « commence » pas au end game et qu’il n’y a aucun intérêt à rusher ?

Raison numéro 6 : Les graphismes et l’univers

TSW n’est pas un beau jeu ni un bijou de next gen.

La création de personnage est plutôt limitée et les choix réalistes imposés par l’univers contemporain bloquent l’originalité en plus de rendre difficile la possibilité de faire un avatar « beau ».

Toutefois, pour compenser l’absence de string en métal et autres armures improbables il est toujours possible d’aller latter du vilain en mini-short, haut de bikini et talons, je ne me fais donc pas trop de soucis pour les joueurs qui se montrent toujours inventifs.

Les animations des personnages sont toutefois très rigides ce qui rend le gameplay plutôt mou et celles des mobs ne sont pas plus fluides.

Le choix d’un univers contemporain loin des héros de la fantaisie habituelle a peut-être aussi retenu certains joueurs, bien que cela apporte à mon sens un sacré rafraîchissement parmi la pléthore de licences emplies d’elfes et autres créatures imaginaires.

TSW2

TSW est donc un jeu techniquement déjà daté, aux graphismes passables, et aux critères réalistes qui peuvent limiter l’originalité et la variété des décors et du bestiaires pour maintenir une cohérence à l’ensemble.

Vu comme ça ce n’est certes pas très vendeur.

Mais ces limitations techniques et scénaristiques étaient compensées largement par un level design des zones monstrueux, une cohérence de l’univers et une adaptation du fantastique au monde réel extrêmement bien pensé. Mais encore faut-il que les joueurs aient l’envie ou la patience de dépasser les premiers a priori pour découvrir les bons côtés du jeu.

Raison numéro 7 : Un PvP limité

Funcom a voulu vendre son jeu comme étant PvE et PvP, attirant ainsi une plus grande variété de joueurs.

Pourtant plutôt bien pensé sur le papier avec l’absence d’armure pvp proprement dite qui désavantagerait les joueurs les moins assidus et la possibilité de personnaliser totalement son gameplay et son build, le résultat a été dans l’ensemble plutôt décevant.

Peu de maps, l’obligation de jouer quasiment toujours les mêmes archétypes pour ne pas être useless, et un pvp de masse totalement déséquilibré en fonction de la faction sur-représentée sur un serveur.

Passé le plaisir « popcorn » des petites maps, l’intérêt s’épuise très rapidement face à l’énervement provoqué par l’impossibilité de faire quelque chose face à une faction sur-représentée et il est certain que le pvp plutôt limité dans son ensemble n’allait pas retenir les joueurs venus exclusivement pour cela à la release.

Raison numéro 8 : Le gameplay

Manque de séduction ou mécanique ratée, le gameplay de TSW n’a pas fait l’unanimité à sa sortie.

Plutôt original, sans level à proprement parlé, avec enfin la possibilité de se battre en bougeant et de débloquer absolument tous les sorts disponibles pour une respé à volonté tout en préservant la trinité tank/heal/dps, il avait pourtant tous les atouts pour dépoussiérer les gameplay classiques.

Toutefois, la redondance de la mécanique qui consiste à utiliser constamment le même sort pour débloquer les plus puissants ainsi que l’absence de « tir automatique » provoque une certaine lassitude dans les combats. Bien que vous puissiez personnaliser votre build, au final cette mécanique reste applicable à tous les archétypes et fini par limiter techniquement leur originalité.

A noter également qu’à terme, malgré un large panel de sorts à disposition et comme bien souvent dans les mmo, seuls quelques builds sont finalement devenus omniprésents et véritablement optimisés pour le contenu haut level.

Enfin, les limitations techniques et graphiques du jeu ainsi que la lourdeur des animations de personnages, rendent l’ensemble plutôt mou malgré certaines belles animations de sorts et la possibilité de bouger tout en combattant.

Raison numéro 9 : Le contenu PvE

Beaucoup de joueurs ont reproché à TSW un manque cruel de contenu à sa sortie. Je me permets de préciser qu’au final ce reproche visait principalement l’absence de gros contenu dit « haut level », ce qui rejoint la réflexion précédente sur la narration particulière du jeu.

Une majorité de joueur ont donc procédé comme à leur habitude, soit rushé les zones et les donjons pour atteindre le « end game », passant ainsi totalement à côté du contenu du jeu qui reposait beaucoup sur l’exploration et la résolution des enquêtes.

Personnellement je ne peux blâmer ces joueurs puisque chacun « consomme » un jeu à sa manière et si seul un éventuel « end game » les intéressait, ils ne méritent pas des jets de pierres pour autant.

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Je trouve par contre dommage qu’ils reprochent un manque de contenu simplement parce que celui existant ne correspondait pas à ce qu’ils recherchaient, ce qui a provoqué une très mauvaise publicité.

Le « end game » de TSW a sa sortie était composé exclusivement d’un mode « hard core » des donjons visités en phase de leveling. Le premier raid ayant été implanté plus tard, beaucoup n’ont pu se contenter pendant les mois qui ont suivi la release de ce mode « cauchemar » pourtant tendu et ont préféré abandonner le jeu avant même d’avoir terminé le contenu existant pourtant riche pour une sortie de mmo.

Raison numéro 10 : Le craft

Feature importante des mmo depuis quelques années, TSW ne fait pas exception à la règle en ayant créé un système d’artisanat adapté à son univers.

Bien que l’on ne puisse pas juger un jeu sur ce type de feature, le craft reste un outil souvent prisé des joueurs et qui se doit d’avoir une utilité en phase de leveling et à haut level.

Le fait est que dans TSW le craft était inutile quasiment du début à la fin. Système plutôt opaque au premier abord, l’ajout des quêtes de tutoriel après la release ont aidé à comprendre ses mécaniques à la minecraft, mais le fait est que le manque d’outils nécessaires pour créer de l’équipement de qualité supérieure rend l’ensemble inutile dès que l’on a fait quelques donjons ou que l’on s’est équipé auprès des pnj en échangeant des tokens de zone.

Les fameux outils se récupérant pour la grande majorité en donjon et avec du bol sur le drop rate, les chances d’en obtenir lorsque tout le groupe les veux s’amenuisent rapidement. Avec de la chance et de la persévérance donc, vous pourrez sûrement vous fabriquer votre équipement rare, mais il n’en restait pas moins que l’artisanat était souvent inutile en phase de leveling et que l’on finissait par remplir sa banque d’ingrédients sans avoir à les utiliser.

Pour conclure

Pour ma part même si The Secret World est certes loin d’être un jeu parfait et qu’il manquait encore de maturité à sa sortie, j’ai été écœurée de l’accueil négatif que les joueurs et les sites spécialisés ont pu lui faire, alors même que ce sont les mêmes qui réclament originalité, immersion et challenge à grands cris depuis des années.

Le jeu a été flingué pour ses bugs et ses imperfections de release par ceux là même qui ont applaudi Diablo III ou qui ont subit les bugs intempestifs de GW2 pendant des mois.

Au final on a surtout l’impression que TSW a subi un délit de sale gueule et c’est bien dommage tant Funcom a pris un risque en bousculant les habitudes des joueurs pour leur redonner l’envie d’explorer un univers et un background.

Évidemment le parti pris narratif, le gameplay et l’univers ne peuvent pas plaire à tous et il est certain que la plus grosse erreur de Funcom a été à mon sens l’abonnement payant, avec un modèle qui criait F2P.

Aujourd’hui The Secret World a mûri, s’est enrichi dans son contenu et reste l’un des mmorpg dit « classique » les plus intéressant à découvrir à mon goût. Il survit avec une communauté de fidèles irréductibles qui doivent s’interroger sur le devenir dans leur jeu une fois celui-ci lifté et relancé, même si dans les faits The Secret World et Secret World Legends continueront de coexister. Nous pouvons toutefois supposer qu’il n’y aura plus de nouveau contenu ajouté au premier…

Cette décision de relancer cette licence aujourd’hui traduit certainement une envie de revanche de la part de Funcom qui croyait en son jeu à l’époque, mais c’est également une nouvelle prise de risque énorme dans un contexte peu favorable à un genre qui arrive à bout de souffle et sur un marché asphyxié par les sandbox et les F2P copiés-collés.

Pour en savoir plus sur ce qui nous attend et dans l’attente du lancement de la bêta, Funcom a accordé deux interviews exclusives au site Massively OverPowered à découvrir ici :

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