Chronique JuriGeek 3
Le Notariat précurseur dans la gestion des données
Avec le buzz actuel provoqué par l’uberisation et la transformation numérique à tout va, l’on pourrait croire que les professions juridiques sont en passe de disparaître ou de muter en robot dans les 6 prochains mois. Ce ne sera pas le cas.
Premièrement parce qu’à ce jour, aucune plateforme, aucune IA, aucun BOT, aussi performant soit-il ne peut remplacer le conseil personnalisé d’un professionnel du droit qui apportera une réponse adaptée au cas par cas et non par la simple application d’un article du code ou d’un formulaire préétabli répondant à des patterns standardisés.
Et deuxièmement, parce que les professions juridiques ont déjà entamé leur transformation numérique depuis plusieurs années, anticipant pour partie les mutations en cours et à venir.
Je prend pour exemple le Notariat qui souffre pourtant d’une image vieillotte, voir même archaïque. La profession a pourtant compris depuis les années 70 l’importance et le potentiel d’une gestion efficace des données et du numérique :
- Dès 1972 avec la création d’un fichier central unique répertoriant les actes de dernières volontés ( Fichier ADSN )
- En 1983 avec la création de l’indice Notaires-INSEE et du fichier GIE MIN (aujourd’hui Fichier MIN) des ventes d’appartements anciens à Paris puis avec l’évolution de cet indice jusqu’en 1999 qui couvre alors les ventes d’appartements et de maisons anciens dans toute la France, les données collectées par le Notariat utilisées grâce aux méthodes de calculs de l’INSEE sont devenues aujourd’hui la référence en matière d’immobilier.
- 1998 : Avec la création d’un intranet notarial, sécurisé et autogéré.
- 2000 : Avec l’arrivée des cartes REAL qui assurent un accès sécurisé et personnalisé aux fichiers du notariat par voie dématérialisée.
- 2002 voit se signer la première vente notariale interactive.
- 2007 : entrée en vigueur de la procédure de téléacte (permet la téléréquisition et la télépublication aux services de la publicité foncière compétent)
- 2008 : ouverture du MICEN avec la signature du premier acte électronique.
Vous l’aurez compris avec ces quelques dates clefs, le Notariat est pionnier dans la gestion des données ou de l’intégration du numérique dans ses pratiques, aussi je doute que l’épouvantail du « big data » sorti à toutes les sauces par les #produmarketing lui fasse vraiment peur.
C’est plus une question de management, de communication laborieuse et de généralisation des pratiques à l’ensemble de la profession qui pose problème.
Un Notariat à deux vitesses face à la transformation numérique
Avec un âge moyen des notaires situé autours des 48 ans, vous pouvez miser sur un bon pourcentage hermétique au numérique voir réfractaire au tout-dématérialisé, ce qui explique une profonde différence de pratiques entre les études au niveau national.
Ajoutez à cela une gestion encore trop souvent particulièrement “old school” du management et vous obtenez un étrange mélange qui peine à accomplir son évolution vers la transformation numérique alors que tous les outils pour le faire sont à portée de main ou déjà en place.
Les émules de la loi MACRON ont pourtant bousculé les certitudes et une partie de la profession semble avoir enfin réalisé que la transformation numérique n’était pas qu’affaire d’informatique et de traitement des données mais également une question de transparence et de service client.
Toutefois les habitudes ont la vie dure et au quotidien les Etudes peinent à pleinement entrer dans le 21ème siècle : vous pourrez croiser autant de notaires qui pratiquent l’acte électronique que d’études qui en sont encore au traitement de texte « word » avec des matrices maison….
L’arrivée des logiciels de traitement de texte notariaux a évidemment partiellement standardisé la rédaction d’acte et la majorité des clauses sont aujourd’hui les mêmes quelque soit le logiciel.
La pratique de téléacte (= procédure dématérialisée de publication au service de la publicité foncière) a également obligé la profession à standardiser et rendre lisible informatiquement les clauses obligatoires pour la publicité foncière.
Toutefois, cette standardisation n’a touché finalement qu’aux éléments basiques et le notaire reste encore largement libre de personnaliser l’acte en fonction des besoins de ses clients.
Et c’est ce conseil client personnel et personnalisable qui doit être mis en avant aujourd’hui par la profession, c’est ce conseil et la relation client qui fera de votre acte, de votre prestation, un document, un service différent de celui du voisin ou du modèle à 20 euros TTC trouvé sur internet.
Car comme dans tous les autres domaines professionnels, au final, c’est souvent le coût de la prestation qui pose problème et incompréhension.
La question de l’argent est encore majoritairement tabou dans la profession et il est difficile pour le client d’avoir le détail des frais qui sont pourtant souvent d’importance.
Alors certes, tous les éléments de calculs sont disponibles puisque déterminés par décret, mais l’on peut aisément comprendre que le consommateur lambda n’en maîtrise pas le jargon et, surtout, considère que ce ne soit pas à lui d’aller chercher l’information.
Cette logique archaïque qui refuse d’assumer l’obligation de faire qui va avec le coût de la prestation couplée avec ce complexe typiquement français lié à l’argent est un frein à la confiance qui doit lier le notaire à ses clients.
Comme il existe aujourd’hui des packs de services, d’assurance, ou de mutuelle, dans lesquels le consommateur pioche en fonction de ses besoins ou de ses envies, la prestation juridique devra elle aussi se rendre adaptable et pourquoi pas sous forme de formules indiquant précisément les prestations pour lesquelles le client va payer.
Le développement des data room sera également un autre moyen de rendre le client acteur de son dossier en lui donnant la possibilité de consulter et de s’informer sur les pièces de son affaire en temps réel.
Car le Notaire n’a que l’obligation d’instrumenter le dossier (il ne peut refuser son ministère à celui qui le demande) mais pas d’effectuer lui-même toutes les démarches pré ou post signature.
Il faut bien comprendre que contrairement à la majorité des acteurs économiques, le notariat a la particularité de traiter des dossiers à perte du fait justement de cette obligation d’instrumenter.
Cela signifie que certains dossiers ne génèrent pas assez de profit pour rentabiliser le temps de travail qu’ils ont demandé. Cette particularité était alors naturellement compensée par le coût plus élevé des autres dossiers moins courants, maintenant ainsi un équilibre légitime entre les besoins du professionnel et ceux du consommateur.
Puisque cet équilibre est partiellement rompu avec la réforme MACRON qui va forcément limiter la compensation du travail à perte, le Notariat va devoir repenser ses méthodes de travail et sa relation client pour trouver le moyen de retrouver un juste équilibre entre son obligation d’instrumenter et ses besoins économiques, car soyons aussi lucides, personne ne devient profession libérale, qui plus est avec autant de responsabilités, pour ne pas avoir le train de vie qui va avec.
Le risque aujourd’hui est toutefois une mauvaise réaction d’une profession qui se sent désavouée dans son rôle.
Le discours cajoleur d’Emmanuel Macron prônant le bien-être économique du consommateur a profondément irrité, surtout lorsque l’hypocrisie gouvernementale a oublié de préciser que les tarifs sont et ont toujours été fixés par décret et que les taxes et impôts divers qui ponctionnent les actes notariaux n’ont, eux, pas diminué d’un centime et même encore augmenté récemment.
Dans le viseur du milieu des affaires, bouc émissaire d’une frange financière qui les jugent responsables de tous les maux du marché, empêcheurs de faire des affaires tranquilles, le notaire a toujours eu un rôle de régulateur et de contrôle majeur qui va avec le poid des responsabilités qui incombe à la profession et qui dérange le milieu des affaires plus enclin aux modèles anglo-saxon.
Mais “un grand pouvoir engendre de grandes responsabilités” et ces deux revers d’une même médaille vont aujourd’hui avec une obligation de résultat, largement encouragée par la jurisprudence qui va souvent préférer sanctionner le notaire, même non fautif au sens stricte, parmi d’autres professionnels, sur la seule justification de ses obligations déontologiques et du fait de l’existence de la caisse de garantie des victimes du notariat qui aura les moyens de dédommager les victimes.
Pourtant, alors même que l’on entend de plus en plus dans les médias un discours qui tend à désigner le notariat comme obsolète il n’a à mon sens jamais été aussi important dans son rôle de régulation et de contrôle.
Avec le tout-numérique et la tendance à une ubérisation des professions, les secteurs du service se décomplexent et font disparaître peu à peu les intermédiaires pour le plus grand bénéfice, dit-on, des consommateurs.
Ce qui peut être une réalité par certains aspects n’en demeure pas moins un réel danger par d’autres, pour la simple et bonne raison que personne aujourd’hui n’a réellement de recul par rapport à ces nouvelles pratiques de consommation.
Notre droit entame à peine sa réforme numérique et la jurisprudence règle encore au cas par cas les litiges.
A voir avec l’exemple récent de la société Uber et la réaction des Taxis traditionnels qui a nécessité une intervention musclée de l’Etat, pas forcément justifiée d’un point de vue juridique et sociétale….
Désavoué en France, le Notariat français est pourtant un modèle pour l’Asie où il s’exporte de plus en plus.
Avec la création en 2000 à Shanghai du Centre Sino-français de Formation et d’Echanges Notariaux et Juridique, le Notariat travaille discrètement mais sûrement à l’établissement d’un nouveau notariat asiatique, plus protecteur et régulateur que les modèles des cabinets d’affaires anglo-saxon dont la seule limite est celle des tractations de couloirs et du bon-vouloir des juges.
Cette collaboration démontre l’intérêt du modèle qui, s’il n’est sans doute pas parfait, n’en demeure pas moins beaucoup plus sécuritaire et protecteur pour les justiciables, quels qu’ils soient.
Mais l’avantage est également à l’échange avec un continent qui regarde sans crainte les avancées technologiques et sait les façonner à son avantage. L’Asie a une capacité d’innovation et d’adaptation étonnante, qui saura sans doute montrer d’autres possibilités au Notariat Français de demain.
Toutefois, cette transformation numérique ne pourra se faire qu’avec l’appui de tous les acteurs du Notariat.
Et ceci passe, à mon avis, par une profonde refonte du management et de la gestion des tâches dans les études.
Le notariat a l’avantage de bénéficier d’un personnel à la fois très spécialisé et multitâches. Il représente, toutes professions confondues, environ 49000 hommes et femmes en France (chiffre au 01/01/2016).
Pourtant, engoncés dans leurs habitudes, plutôt mal payés, souvent mal formés, et servant régulièrement de fusible en cas de crise, les salariés du notariat n’ont pas été préparés à la mutation qui approche et l’ancienne garde des Notaires rechigne à ouvrir les portes à la jeune génération qui pourrait pourtant favoriser le délicat passage de la loi MACRON.
Alors que les premiers cabinets d’avocat commencent à recruter des IA, les Notaires devraient également se remettre en question quant à la répartition des tâches et au management de leurs équipes qui sont aujourd’hui en première ligne face au client.
Vous pouvez être aussi efficace que vous le voulez à tel ou tel niveau de la chaîne, si le reste ne suit pas, c’est l’ensemble du fonctionnement qui en pâtit.
Toutefois, cette symptomatique liée au management n’est pas l’apanage du notariat mais plutôt de l’entrepreneuriat français dans son ensemble qui a peur de ses salariés au lieu de les considérer comme des alliés.
Sans tomber dans le larmoyant, le Notariat doit simplement avoir conscience que ses premiers ambassadeurs sont ses propres employés et que d’eux va déjà dépendre une grosse partie de l’image de leur profession et de leur entreprise.
Ainsi, négliger d’intégrer en tant que partenaire la masse salariale à sa propre mutation, risque bien d’être l’une des plus grosses faiblesses du Notariat dans les années à venir.
Car le contrôle de son image et une communication efficace seront au cœur des habitudes de consommations du 21ème siècle…
…et sur ce point particulier le Notariat peine à sortir de son image poussiéreuse, voir négative.
La profession semble ressentie comme un mal nécessaire, un épouvantail juridique qui se dissimule derrière un discours pompeux et se sert au passage.
Bien que le Conseil Supérieur du Notariat fasse appel à de grandes agences de com’ le résultat des dernières campagnes de publicité était au mieux risible au pire une catastrophe.
Ajoutez à cela une présence plus que discrète sur les réseaux sociaux ou sur internet de manière générale et vous obtenez de l’indifférence, voir de l’animosité, comme lorsque la profession tentait de faire entendre sa voix face aux discours de la Loi MACRON.
Cet épisode malheureux démontre bien que le Notariat, pourtant précurseur et proactif face aux défis de l’évolution et des changement de notre société, est incapable de prendre en main son image et de gérer sa communication.
Toutefois, il semble que cette incapacité à utiliser correctement les outils marketing d’aujourd’hui relève plus d’un état d’esprit que d’une réelle déficience.
Le Notaire est un officier public et ministériel, il est censé incarner la force public au sein du droit privé. Avec un tel pedigree vous imaginez bien que la profession ne peut pas non plus tout se permettre ou craint la moindre atteinte à son image, on imagine bien alors que les réseaux sociaux doivent apparaître un peu comme la boîte de Pandore.
Pourtant, alors que même la Reine d’Angleterre vient d’ouvrir un compte officiel sur twitter, il est temps pour le Notariat d’entrer dans cette nouvelle ère et d’affronter son public.
Une profession armée pour le service 3.0
Le Notariat français est aujourd’hui extrêmement motivé pour poursuivre sa transformation numérique et démontrer qu’il a plus que jamais sa place dans le paysage juridique du 21ème siècle.
Précurseur dans la gestion des données et la dématérialisation il se doit toutefois de réussir à se faire entendre par le commun des mortels qui, si ils ne contestent pas forcément sa valeur intrinsèque, peinent à comprendre réellement son rôle et sa valeur ajoutée.
Car la concurrence est vive sur internet, et d’autres acteurs pourraient bien demain proposer les mêmes services que les études notariales.
Communication, transparence et relation client seront les défis à relever pour cette profession peu à l’aise dans l’exercice délicat de la séduction.
Quels sont les besoins connexes des consommateurs qui précèdent et entourent l’acte juridique en lui-même qui reste si mal compris ? Comment transformer le capital confiance et expérience cultivé par le notariat en réflexe incontournable ? Enfin, comment démontrer que le notariat n’est pas seulement légitimé par son monopole mais bien parce qu’il est le mieux placé et armé pour faire face aux enjeux et aux défis juridiques de demain ?
Tels seront les défis du notariat 3.0 qui devra en parallèle et plus que jamais maintenir son rôle de régulation et de contrôle pour préserver la tranquillité juridique des consommateurs.
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