Ce samedi 30 avril 2016 se tenait à Seloncourt la Connect E Cut, première convention web-média de Franche Comté.
Cette journée consacrée aux web séries en particulier et à la culture web de manière générale fut l’occasion pour beaucoup de découvrir un univers extrêmement varié et en plein essor.
C’était d’ailleurs mon cas, étant totalement novice dans ce domaine, et la conférence de Joël Bassaget intitulée “Anatomie des Web Séries” en fut une excellente introduction :
LES WEB SÉRIES : QUESAKO ?
Définition standard : Série diffusée sur le web.
Cette définition bien que juste reste toutefois incomplète puisqu’il y a évidemment d’autres critères à retenir afin de pouvoir les différencier des séries diffusées par Netflix par exemple, également prévues pour le web.
- Les web séries n’ont pas vocation à être ou devenir des séries TV, elles sont pensées et créées pour rester sur le web.
- Format court (aujourd’hui 95% des WS ont des épisodes d’une durée inférieure à 12 minutes)
- Productions indépendantes.
- Thèmes abordés différents des programmes mainstream (on parle plutôt de “contre-programmation”, ceci en grande partie dû à l’absence de contrainte liée à l’audience).

Joël Bassaget
LES WEB SÉRIES : UN PHÉNOMÈNE INTERNATIONAL EN PLEINE ÉVOLUTION
Aujourd’hui ce sont environ 1 millier de web séries par an qui sont produites.
Sur cette quantité impressionnante de productions, il y a obligatoirement un problème de qualité, mais pour Joël Bassaget, il n’est pas plus prononcé que dans un autre domaine, proportionnellement parlant, et si certains voudraient changer la dénomination des web séries en “séries digitales”, dans le but de prendre du recul par rapport à cette “mauvaise réputation”, il pense également qu’en dehors de l’aspect “marketing” qui tente de rendre la chose plus « hype », cela ne change rien et augmente même le risque de confusion.
Toutefois, en même temps que le nombre de web séries augmentait, leur qualité s’améliorait également, les amateurs s’étant peu à peu effacés au profit des passionnés, comme tout nouveau domaine où l’effet de mode a un rôle à jouer.
La France se situe en deuxième position mondiale en terme de volume de production, mais si on compare proportionnellement à la population elle prend alors la tête du peloton, et ce malgré une absence totale de soutien de la part du gouvernement, comparativement, au Canada et à l’Australie par exemple qui ont décidé de soutenir ce nouveau média.
Joël Bassaget explique cette volonté de certains gouvernements par le fait que les budgets dédiés aux aides culturels étant en baisse, les responsables ont compris que leur apport à la production cinématographique traditionnelle ne représentant plus que des clopinettes, ces fameuses clopinettes représentaient au contraire une aide significative pour la production de web séries. Un choix intelligent donc.
Pour finir, il est intéressant de comprendre que chaque pays aborde les thèmes traités par les web séries de manière différente, et très typés en fonction de la nationalité.
La France est ainsi particulièrement connue pour aborder des thèmes peu évidents comme la science fiction et l’héroique fantasy, l’Amérique Latine pour rechercher son identité culturelle au travers des web séries ou encore l’Italie pour avoir un soin de l’esthétique très particulier rappelant le cinéma d’auteurs d’après 1950.
Les web séries incarnent ainsi un mode d’expression culturel fort et marqué par une identité nationale reconnaissable et reconnue. Selon le pays producteur le message inconscient ou conscient véhiculé va donc logiquement dépendre des attentes, désirs et questions de sa population, qu’elles soient sociétales, politiques ou culturelles.
On retrouve ici cette notion de “contre-production”, critère manifestement essentiel de ce nouveau format narratif.

MODÈLES ÉCONOMIQUES DES WEB SÉRIES
A ce jour il existe trois modèles économiques :
1 – La diffusion payée par la publicité.
Le contenu est disponible gratuitement en échange de votre temps de cerveau pour la publicité. C’est un modèle dit “freemium”.
Si ce modèle a joué son rôle fut un temps il n’est aujourd’hui plus viable pour les web séries.
Le public ne peut plus suivre la production actuelle en terme de quantité. Quoique l’on fasse, chaque jour isole davantage les petites productions, l’audience s’effondre même pour les habitués. La masse provoque un manque de visibilité inévitable (Parallèle intéressant avec la production indépendante du jeu vidéo soit dit en passant…)
Pour pallier à cet effet “pervers” de la banalisation du support, le brand content a commencé à se développer de manière significative.
2 – Le modèle VOD (video on demand = vidéo à la demande).
Les créateurs vendent leur vidéo en ligne. C’est un modèle dit “premium”.
Peu efficace dans le cas des web séries, surtout pour les nouvelles productions qui vont avoir du mal à convaincre le public de payer d’illustres inconnus. C’est également très contraignant en terme d’organisation et d’obligations.
3 – La vente aux chaînes spécialisées.
Avec l’expansion du média au-delà du cercle des initiés il était inévitable que se développent en parallèle des plateformes dont le rôle est de centraliser toutes les web séries, mais ce sont aujourd’hui les chaînes de télévision qui s’y intéressent et nombreuses sont celles qui en proposent déjà ou en commandent carrément.
Canal + est d’ailleurs en train de se préparer à cette (r)évolution avec une plateforme entièrement dédiée aux web séries et aurait passé commande pour 1 million d’euros de contenu.
Pour vous donner une idée, 300.000,00 Euros, c’est le coût d’une web série à partir duquel le modèle économique peut se rembourser, rembourser l’annonceur et rapporter du bénéfice.
Ce modèle semble, d’après Joël Bassaget, le plus viable à long terme, et avec lui celui de la VODS, video on demand with souscription(vidéo à la demande avec abonnement) le spectateur peut ainsi avoir un contenu premium de qualité, avec un modèle économique moins contraignant et psychologiquement plus à même de déclencher l’acte d’achat que la simple VOD.
Ce modèle de la VODS est l’enjeu d’une future guerre économique féroce que vont se livrer les acteurs du marché des médias.
De nouveaux enjeux, pour un nouveau format et une nouvelle forme d’écriture qui correspond mieux aux nouveaux usages des consommateurs.
A noter également que le brand content qui tendait à se développer dans le domaine des web séries va sans aucun doute souffrir face aux modèles de VOD et de VODS, car il entre en concurrence directe avec les contrats publicitaires souscrits par les plateformes…

La télévision perd chaque année des parts de marché face au monstre internet et la jeunesse a quitté la télévision qui ne convient plus aux nouveaux modes de fast-consommation (mobile, tablette, tout, tout de suite et tout le temps).
D’après les derniers chiffres d’une étude américaine, 30% des 15-25 ans ne regardent d’ailleurs plus la télévision à la télévision.
Toutefois, c’est manifestement une erreur de penser que le public des web séries est celui-ci, pour Joël Bassaget il se situe plutôt dans la tranche des 25-40 ans.
Ce que l’on peut retenir de cette conférence et de l’analyse de Joël Bassaget c’est que la web série entame à peine son voyage vers la reconnaissance et cette nouvelle forme d’écriture est un eldorado qui s’ouvre dans un secteur extrêmement concurrentiel. La masse de consommateurs potentiels donne le vertige puisque cette fois l’audimat n’est pas limité géographiquement ou techniquement puisque transportable via les tablettes et les smartphones.
Le danger est toutefois inévitablement un aller simple vers une standardisation du média afin de rentrer dans les petites cases des annonceurs et de leurs objectifs d’audience…
LA COMPÉTITION WEB SÉRIE DE LA CONNECT E CUT
La Connect E Cut c’était bien évidemment aussi l’occasion de découvrir la sélection officielle des web séries en compétition pour le grand prix, soit : Cluster Agency, Entendu dans les bars, Euh, IO, Mortus Corporatus, Random, Self Story, The Hunters, The Popcorns Show, Zozo le fugitif de l’espace.
Je dois dire que j’ai été très agréablement surprise par les différentes productions qui ont pu être présentées, tant par les thèmes abordés que par la qualité, mais surtout par la passion qui animait toutes les équipes qui avaient fait le déplacement.
Je n’avais malheureusement pas eu le temps de regarder toutes les web séries de la sélection, aussi il est parfois difficile de se faire une idée à partir d’un seul épisode, surtout si l’histoire se veut mystérieuse – comme celle de Random ou d’IO – ou carrément cryptique – avec Cluster Agency – les web séries plus tournées vers l’humour comme The Popcorn Show, Self Story, The Hunters, Euh, Entendu dans les bars ou encore Mortus Corporatus étant forcément plus accessibles d’entrée de jeu.
Et puis il y avait le petit OVNI, la web série animée : Zozo, le fugitif de l’Espace, gros coup de cœur tant du point de vue de la direction artistique que des nombreux clins d’oeil de films ou de jeux vidéos que j’ai pu y retrouver.

Le jury de la compétition composé de Joël Bassaget, Camille Ghanassia et Youssri El Yaakoubi s’est prêté jusqu’au bout au jeu des questions réponses avec les équipes présentes et ce fut intéressant de voir le regard que posait des professionnels sur les différentes web séries présentées.
Toutefois je dois avouer que je fus assez étonnée de voir que ce sont finalement les web séries les plus “académiques” du point de vue de la mise en scène et de la narration qui ont eu la faveur des critiques du jury la plupart du temps.
Alors que ce média est censé incarner une certaine forme de contre-culture, avoir un discours aussi élogieux face à une version franchouillarde de Dead Like Me qui transpose les héros en salariés d’entreprise version management “petit patronat mesquin et hiérarchie archaïque ” ça fait un peu mal à ma “contre-production”… (aka Mortus Corporatus).
Sans dénigrer la web série elle-même plutôt sympathique et rigolote, question mise en scène proprette et humour convenu, voir cliché, on n’a du mal à faire mieux. Idem avec Random qui a enthousiasmé le Jury, alors même qu’elle propose un sujet certes intéressant voir intriguant dans la veine de “Les Revenants”, mais dans une version à mourir d’ennui de convenance cinématographique.
J’avoue avoir préféré les partis pris plus chaotiques et osés des web séries Io, Cluster Agency ou Self Story ou encore l’humour décapant de Euh ou passé au vitriol de The Popcorn Show, certes imparfaites dans leur réalisation mais tellement plus intéressantes et éloignées des séries TV.
J’ai également beaucoup aimé l’idée d’interactivité proposée par Self Story qui tend à se rapprocher au fur et à mesure de sa narration aux “Livres dont vous êtes le héros” ou encore le transmédia web série/jeu en réalité alternée gravitant autour d’IO.

Toutefois, ne soyons pas mauvaise langue, au final c’est la web série Self Story, avec un grille-pain qui parle et a des pouvoirs aussi gras que le génie d’Aladin, qui a remporté le Grand Prix du Jury.
Le prix du public est allé quant à lui à Mortus Corporatus, la web série sur les employés de la Grande Faucheuse version PMU… je suis déception, surtout parce que cette web série a l’avantage de bénéficier d’acteurs professionnels, mais j’imagine que c’était l’une des web séries dont les codes étaient le plus proches des séries TV auxquelles le public est habitué.
POUR CONCLURE
Comme dirait Joël Bassaget, “au jour d’aujourd’hui” je découvre à peine la richesse de ce média alors même qu’il est en pleine phase de mutation économique et culturelle, et je dois dire que la bête a quelque chose de très prometteur en terme de support narratif que ce soit pour oser et bousculer ou à l’inverse, pour la propagande ou véhiculer un discours commercial/politique quel qu’il soit.

Cela ne m’étonnerait d’ailleurs pas que les web séries deviennent sous peu le fer de lance de la publicité native…
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Une réflexion sur “Web Series : Connect-e-cut 2016”