Dans un monde connecté en perpétuel évolution et alors que le média jeu vidéo a parfaitement su opérer sa révolution online, il reste encore et toujours un petit groupe qui résiste à l’oppresseur : les journalistes de jeu vidéo.
Bien que ceux-ci se soient adaptés à la révolution internet, fleurissant le web de sites spécialisés, accumulant les “news” à la chaîne et se mettant même au streaming et aux émissions vidéos, il reste un domaine qui n’a pas évolué depuis les débuts du journalisme ès jeu vidéo : les tests de jeux vidéo.
Evidemment aujourd’hui nous pouvons les lire en ligne, souvent même avant la sortie et il existe même des sites regroupant les tests mondiaux afin d’établir des notes moyennes comme Metacritic ou encore les preview/review vidéos. Mais force est de constater que le système reste le même, immuable dans sa notation et son appréhension du sujet.
Pourtant depuis quelques années la critique gronde dans les bas fonds des forums spécialisés ou sur les blogs amateurs : n’est-on pas arrivé au bout d’un système de notation trop académique et celui-ci est-il toujours en adéquation avec le média tel qu’il est exploité aujourd’hui ?
Quelles leçons retenir des tests de jeux vidéo actuels ?
De ma propre expérience et au vu du nombre important de sites spécialisés que j’ai pu suivre ou lire, voici ce que j’ai pu retenir – et qui n’engage que moi – sur l’exercice casse-gueule du test de jeu vidéo :
1 ) Le lectorat
La grande majorité des lecteurs de test dit “actifs” peuvent se classer aujourd’hui en trois catégories principales :
1- le fan / le “hater” de mauvaise foi
- Il aime/adule ce jeu/cette licence, prendra toutes critiques comme une insulte personnelle et n’aura jamais le recul nécessaire pour une critique constructive.
- Il déteste/vomi ce jeu/cette licence et n’aura jamais le recul nécessaire pour une critique constructive ou il aime tout simplement troller pour le plaisir.
2- le joueur de la génération triple A
Il a découvert le jeu vidéo il y a 5 ans maximum, n’y connaît rien en tant que média, ne connaît que les grosses licences et ignore la différence entre level design et game design. Il ne sait d’ailleurs même pas ce que ces mots veulent dire, mais excelle à classer un jeu en “GOTY” ou en “grosse daube”.
3- l’Ancien, le joueur old school, le Monsieur-je-sais-tout
Il était là avant vous, en sait plus que vous, a découvert le jeu vidéo in-utero, il fait caca des pixels et sa connaissance du sujet en fait La Référence absolue. La preuve son blog a au moins 200 lecteurs.
Tout le reste regroupe en gros le visiteur de passage, le curieux, le fanboy du testeur/site, le lecteur vraiment intéressé par votre avis et qui se décidera peut-être en fonction de la conclusion de votre test et enfin pour peu que votre site fasse partie du top 20 du classement français : les éditeurs qui viennent voir la publicité que vous leur avez faite.
2) Langage technique versus langage vulgarisé
Partez toujours du principe que ceux qui vont vous lire n’y connaissent de toute façon rien ou pas grand chose.
A partir de là deux choix s’offrent à vous :
- Choix A : Je facilite le travail du lecteur. Cela vous forcera par exemple à traduire en français certaines expressions qui vous paraissent pourtant limpide en anglais, ou encore à mettre un rapide lexique à la fin de votre texte pour les termes spécifiques à certains jeux (mmorpg, moba, fps etc..) ou à éviter les termes trop techniques comme frame rate, hit box ou ragdoll …
- Choix B : J’emmerde ce tas d’incultes et revendique ma connaissance technique comme la preuve de ma légitimité à tester ce jeu. J’utilise donc les termes techniques reconnus par l’ensemble du secteur.
3) Objectivité versus subjectivité.
Contrairement aux idées reçues et aux épouvantables tests de jeux vidéo qui pullulent sur la toile, tester ne signifie pas donner son avis, il s’agit de donner un avis.
Notre goût personnel, notre affect, notre vie, ne devrait pas entrer en ligne de compte dans 80% du test.
Mais puisqu’il est effectivement difficile de retirer tout avis/ressenti personnel lorsque l’on joue ou écrit, il est logique et attendu que le testeur laisse à un moment ou à un autre libre cours à sa subjectivité. Le tout étant de le faire par exemple dans un paragraphe bien spécifique ou encore que la subjectivité soit identifiée comme tel et facilement reconnaissable par le lecteur.
4 ) La Conclusion
Environ 90% des lecteurs vont se contenter de ne lire que la conclusion et/ou la note du test.
La conclusion doit être le parfait condensé du test objectif du jeu et de l’avis subjectif du testeur. Tous les éléments clefs abordés dans le test doivent donc être repris dans la conclusion.
C’est la partie la plus importante et délicate à rédiger alors il ne faut surtout pas la négliger, car c’est de cette seule conclusion que va dépendre le déclic de 98% des lecteurs pour lire le reste du texte (ou pas).
Si l’on opte également pour la colonne des + et des – (très à la mode depuis environ 2 ans) à la suite de la conclusion, il ne faut pas oublier que les points listés ne doivent reprendre QUE les éléments déjà abordés dans le test. Ceci dans un but de cohérence et parce que chaque point positif ou négatif doit avoir été justifié au préalable.
A la suite de cette fameuse conclusion se trouve en règle générale la note attribuée au jeu.
Ce simple chiffre (ou nombre selon l’échelle choisie) est à lui seul le nerf de toutes les guerres que se livrent des milliers de joueurs sur tous les forums de jeux vidéo de France et d’ailleurs, et mérite donc que l’on s’y attarde, surtout à l’heure où l’indépendance des journalistes spécialisés est de plus en plus remise en question.
La notation des jeux vidéo est-elle devenue obsolète ?
Élément délicat si il en est, noter un jeu vidéo n’est pas facile et il n’existe pas de système parfait ou totalement objectif.
Le fait est qu’aujourd’hui il existe deux écoles :
- Ceux qui jugent que noter un jeu est un exercice trop périlleux ou même inutile puisque le ressenti de chacun ne peut se refléter dans la note du seul testeur.
- Et ceux qui pensent qu’il est important de continuer à attribuer une note, ne serait-ce que pour établir une échelle de valeur dans un océan de sorties annuelles ou encore pour aider les consommateurs à prioriser leurs achats.
Les deux argumentaires se valent en terme idéologique et chacun pourra s’identifier à l’un ou à l’autre et parfois même aux deux.
Pourtant malgré l’importance donnée à la notation en tant que curseur qualitatif nous sentons bien que le schéma traditionnel arrive à bout de souffle.
Quelles en sont les raisons ?
- Du fait de l’exploitation jusqu’à épuisement des licences de jeu vidéo qui engendre des clones annuels et répétitifs.
- De la remise en question systématique de l’objectivité du testeur.
- De la remise en question progressive de l’indépendance desdits testeurs du fait des relations forcément étroites qu’ils peuvent entretenir avec les éditeurs.
- De l’émergence d’un nouveau système publicitaire encore tabou et mal identifié par les consommateurs : la publicité native. Notamment au travers des youtubeurs en vogue.
- De l’impact de plus en plus limité des tests sur les ventes. Notamment grâce au système de préventes alléchantes mises en place par les éditeurs, à la publicité monstrueuse de n’importe quel jeu triple A avant sa sortie, ou encore aux bêtas.
- De l’émergence foisonnante d’une scène indépendante prolifique qui doit rivaliser avec les gros poissons et qui est soumise au même schéma de test et de notation…
Ces quelques exemples démontrent clairement un décalage entre la réalité d’un marché et la vision cloisonnée que peuvent encore en avoir (ou en montrer) les spécialistes.
Hors avec l’expansion du tout dématérialisé, des jeux mobiles/tablettes, d’internet qui offre à tous une chance de devenir le buzz de demain, les frontières ne sont plus définies, elles sont même devenues quasi-inexistantes puisque vous pourrez trouver un test de Lifeline (jeu mobile) sur le même site/journal spécialisé que celui du dernier Assassin’s Creed (PC ou console).
Si un jeu à 2 euros peut rivaliser en terme de notation avec un jeu à 60 euros où se trouve alors la crédibilité ou la pertinence ?
Et puisque la commercialisation des jeux ou leur succès économique n’est pas (ou plus) basé sur leur qualité culturelle ou artistique mais soumise aux lois de marché, le jeu vidéo doit être considéré comme un produit de consommation comme un autre et les joueurs comme des consommateurs, avec ce que cela implique d’exigences et de critères avant de passer à l’acte d’achat ou de leviers pour provoquer cet achat…
Établir de nouveaux standards pour les tests de jeux vidéo
Puisque le système de notation actuel ne semble plus en adéquation avec la réalité d’un marché évolutif et fluctuant, le rendre tout aussi adaptable apparaît donc comme une nécessité pour en maintenir la pertinence et la neutralité nécessaire à tout produit de consommation.
Certains ont tenté quelques méthodes alternatives comme les étoiles/ champignons/ [insérer ici l’item souhaité], les barèmes [mauvais/moyen/bon…] et autres fantaisies qui au final reviennent toujours au même point : le système est le même quelque soit le support ou le type de jeu, rendant par là-même la différence caduque.
La majorité du débat stagne donc généralement sur la question de la nécessité de conserver une note plutôt que sur le système de notation lui-même.
L’un des derniers exemple concret et plutôt abouti que j’ai eu l’occasion de voir quant à une véritable remise en cause de la notation elle-même se trouve dans la collection vidéo de l’équipe D’Un Drop Dans la Marre.
Toute la réflexion réside ici dans l’établissement d’un barème de critères ajustables en fonction d’une échelle relative, censée mettre en comparaison le produit avec ce qui existe déjà sur le marché.
L’intervenant place donc le jeu vidéo dans une logique de marché et propose la mise en place d’indicateurs pouvant répondre rapidement à des critères de consommation par le biais d’une échelle relative qui, au lieu d’indiquer si le jeu est bon ou non (logique de critique/jugement de valeur), va comparer le jeu à ce qui existe au même moment sur le marché par rapport à des critères prédéfinis (logique de consommation).
Au même titre que lorsque vous voulez choisir votre prochain smartphone, vous allez vous prêter normalement au jeu des comparatifs avant de vous décider, c’est la même chose qui est proposée dans ce système de notation. Il n’y plus de jugement de valeur, mais un constat objectif du travail réalisé sur les points jugés les plus importants pour le produit qu’est devenu le jeu vidéo.
Toute la difficulté résidant à présent à établir une liste de critères standards applicables à l’ensemble du média.
Cette proposition qui a le mérite d’être crédible, viable et aboutie, n’échappe pourtant pas aux limitations qu’elle se fixe elle-même en retirant toute identité culturelle au produit.
Par exemple puis-je envisager les mêmes critères normatifs pour un jeu mobile, console ou PC ? Ou encore ce système ne va t’il pas forcément défavoriser la scène indépendante qui ne pourra jamais ou presque rivaliser techniquement avec les jeux mainstream ? Quid de l’exploitation d’une licence ? L’épisode 6 ne mérite t’il pas un regard plus subtil que l’épisode 1 ?
Si l’on se borne à établir des critères neutres cela pourrait donner grosso-modo :
- le scénario
- les graphismes
- la stabilité technique
- la durée de vie/rejouabilité
- la jouabilité
- l’accessibilité
- la réponse aux attentes générées (j’aime beaucoup cette idée de juger le jeu final par rapport aux expectations provoquées par la promotion en amont)
Sur le papier ces seuls critères sont largement suffisants pour juger du rapport qualité/prix d’un produit. Mais sont-ils suffisants pour valoriser les qualités particulières de ce qu’est un jeu vidéo ?
Certes le raisonnement de replacer le test de jeu vidéo dans une logique économique de consommation se tient au vu de la mutation d’un marché qui est devenu mondial et qui pèse très lourd en terme de rentabilité, mais cette logique fait disparaître toute nécessité d’avoir un individu spécialisé ou qualifié pour établir le test du produit qui pourrait très bien par exemple se retrouver au dos de la boîte de jeu ou en dessous de son descriptif pour un jeu dématérialisé.
Si l’on doit réduire ainsi les journalistes de jeu vidéo à de simples intervenants passifs quel besoin avons-nous d’eux puisque l’actualité n’est même plus leur apanage ?
Bien sûr nous pouvons arguer que le journaliste spécialisé pourra faire sa « critique » du jeu, mais critiquer n’est pas tester, critiquer c’est apporter un point de vue, un jugement de valeur unique qui ne vaut que pour celui qui l’émet. Si je veux de la critique il existe 250000 youtubeurs ou blog qui en proposent.
Personnellement lorsque je vais lire un test de jeu vidéo sur un site spécialisé/journal spécialisé, c’est parce que j’attend un regard professionnel et un retour subjectif quant à la qualité d’un titre.
Que le testeur ai aimé le scénario ou pas, il doit être capable de dire si celui-ci a une importance ou non, il doit être capable de préciser que les imperfections techniques si elles existent sont ou non handicapantes, ou encore que ce jeu se place au panthéon de l’innovation par son gameplay ou son level design et va révolutionner le jeu vidéo futur malgré des graphismes et animations digne des années 90.
C’est justement pour ces avis subjectifs guidés par le professionnalisme du testeur que je lis un test, je n’ai pas besoin d’un code couleur ou d’un curseur pour savoir si les graphismes me plairont ou si le scénario tient sur un post-it, surtout à présent qu’il n’y a plus aucun mystère avant la sortie d’un jeu et que nous avons mille façons de nous renseigner sur les éléments basiques.
Pourtant, même si ce système de notation par échelle relative ne me plait pas entièrement dans son application, il me plaît beaucoup dans son principe.
Il s’agit au final de juger un jeu vidéo par rapport à la concurrence existante via des critères neutres. Mais si j’élargissais un peu ce concept en décidant que le jeu doit être noté par rapport à ce qui existe dans son segment via un ensemble de critères neutres et d’autres beaucoup plus subjectifs.
La moyenne de ces critères devrait pouvoir donner une note finale en adéquation avec le jeu par rapport au marché mais également par rapport à son statut de produit culturel, sachant que tous les critères seront listés et notés avant de faire une moyenne.
Prenons un exemple pour un jeu X sur PC de genre First Person Shooter (FPS) issu d’une licence très connue avec un mode campagne et un mode multijoueur.
Je vais donc adapter mes critères au fait que ce soit ici un jeu triple A, un FPS multi et l’épisode 72 d’une licence à succès.
CRITÈRES RETENUS :
- Graphismes : superbes, très réalistes mais gourmands en mode multi = 8
- Campagne : optionnelle = 5
- Gameplay : pas de nouveauté par rapport aux épisodes précédents, efficace = 6
- Stabilité des serveurs : très bonne stabilité = 9
- Matchmaking/serveurs dédiés : pas de serveurs dédiés, matchmaking long = 6
- Immersion : très bon jeu arcade “sons et lumières” = 8
- Positionnement face à la concurrence du segment : solide, licence connue = 7
- Positionnement en terme d’innovation/prise de risque : joker Jean-Pierre = 4
- Réponses aux attentes générées : on nous avait vendu une révolution on se retrouve avec un copié-collé de l’épisode précédent en plus beau = 2
- NOTE FINALE = 6
Nous avons ici un mix de critères neutres (graphismes/stabilité des serveurs…) et de critères subjectifs (immersion/campagne/réponses aux attentes…) qui permet de cibler beaucoup plus justement le genre particulier du FPS multi et de répondre aux attentes du consommateur sans frustrer le joueur plus averti.
Le choix des critères doit bien entendu être peaufiné en fonction des genres puisque l’on ne va pas rechercher la même chose dans un jeu de rôle et dans un jeu de combat par exemple, le tout sans tomber non plus dans la liste indigeste.
Mais c’est bien là que le journaliste spécialisé doit pouvoir se positionner : en trouvant le juste équilibre entre l’utile et le superflu, la neutralité et le regard d’expert.
Cela permettrait également de différencier les sites et les rédactions. En tant que fan de beat’em all par exemple, il me sera facile de trouver le ou les sites très pointilleux sur des critères que je juge moi-même importants et je pourrais ainsi plus facilement me fier à leur notation avant d’acheter un jeu.
Pour ma part la grande question du « Doit-on continuer à noter un jeu ? » est définitivement réglée et il est impératif pour le segment de commencer sérieusement à se remettre en question sur leur façon d’appréhender le jeu vidéo qui n’est plus en adéquation avec la vision intimiste et presque élitiste qu’ils peuvent en avoir.
Repenser la notation et les tests est à mon sens la première étape nécessaire au renouveau du journalisme vidéoludique, plus que faire des stream ou des émissions vidéos. Le test est l’essence même de ce pourquoi ils sont appelés “journalistes de jeu vidéo”, et il est grand temps qu’ils reprennent l’ascendant sur les éditeurs qui ont bien compris que ce n’était plus sur les sites spécialisés que se faisait le succès ou l’échec d’un jeu…
Le débat est ouvert.
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2 réflexions sur “Les tests de jeux vidéo”